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Maurice Fanon

Maurice Fanon

Philippe Normand

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On est en juin 1975, au Havre, lors d’une campagne législative partielle. André Duroméa, Député-Maire communiste, parraine son premier adjoint, Daniel Colliard dans la circonscription du centre-ville ancrée à droite. Le Parti Communiste local organise un meeting de soutien au candidat des forces de gauche, salle Franklin. C’est la salle historique des syndicats, le temple de la mémoire ouvrière havraise et la salle des premiers concerts rock des seventies.

Leny Escudero est la tête d’affiche du gala avec Paul Préboist en lever de rideau et Maurice Fanon en première partie. J’ai 16 ans, j’assiste à mon premier meeting associant chanson et politique et j’ai l’impression de vivre un avant-goût de la fête de l’Huma, où je ne suis jamais allé.

Je connais Leny Escudero et son look de beau gitan à la voix rauque. Je n’ai jamais entendu Maurice Fanon. Il va bientôt surgir sur scène, petit et vif, en chemise et pantalon noirs. La voix est embrumée. Elle vient des tripes avec des mots qui percutent et se propulsent droit au cœur. Dès la première chanson, les paroles rebondissent avec des rimes qui se caressent et des refrains ponctués de formule chocs et de proverbes modifiés. Je reconnais une chanson déjà entendue : L’Echarpe. Son plus grand succès, une sonate au piano qui pleure une rupture amoureuse, avec des rimes en OI et des rimes en OU, en se souvenant tristement de « l’empreinte de tes doigts sur mon cou », … Huit à dix chansons s’enchainent. J’adore.

J’en découvre une ce soir-là : Paris Cayenne, chanson moins connue qui évoque les prisons et ceux qu’elles radicalisent. Cette fois les phrases, comme des roulements detambour, rebondissent de rimes en AN :

On n’y enferme de temps en temps

Et tout ça couche avec des truands

Des capitaines aux yeux si bleus

Qu’on voit la France pleurer dedans

Des Jeannettes au ventre si blanc

Qu’on voit la France bouger dedans

Et des rouges au cœur si grand

Qu’on voit la France s’aimer dedans

Paris-Cayenne tu as la dent dure à ceux-là qui sont dedans

Paris la Seine y a trop longtemps que tu coules entre deux agents

Paris-Cayenne avec des gants ça fait plus chic c’est moins voyant

Depuis qu’en France Bourg-La-Reine prend des allures d’océan

On dit qu’à Fresnes le chiendent voisine avec la fleur des champs

Deux jours plus tard, je file à l’Auditorium, le grand disquaire du Havre et j’achète la première compilation de Maurice Fanon. La pochette est noire, Fanon, en lettres minuscules orange barre toute la largeur du disque. En bas, à gauche : portrait couleur de Maurice Fanon, en chemise blanche, regardant le sol, le visage tourné sur sa gauche. Au verso, douze portraits de lui, en mosaïque, le décline en douze expressions pour décliner les douze tonalités des chansons de l’album.

J’écoute le disque en boucle et me décide à recopier les paroles des chansons que je préfère. Il faut poser puis relever régulièrement le bras du tourne disque sur le vinyle. Retranscrire une phrase puis deux, revenir au début de la chanson, … et remettre le bras du tourne disque sur le sillon d’amorce de la chanson pour vérifier que l’on a bien toutes les paroles. A la fin de cette dictée, j’ai entendu la chanson une quinzaine de fois et après l’avoir écrite et relue phrase par phrase, je la connais par cœur.

Quelques mois plus tard pour mes 17 ans, ma mère m’offre un week-end et un spectacle à Paris. Je choisis une soirée dans l’un des derniers cabarets de la Rive Gauche : L’Echelle de Jacob. Ça tombe bien Maurice Fanon s’y produit. On s’installe sur un pouf, ma mère me conseille de commander un Gin Tonic, parce que « Ça dure longtemps ». Un animateur enchaine des blagues, puis un magicien et un autre chanteur se succèdent à trois mètres de nous, avant que Maurice Fanon apparaisse. Quand il chante Paris Cayenne, j’en anticipe chaque parole.

En fin de soirée, Maurice Fanon rejoint le comptoir. Surpris de voir un ado parmi la vingtaine de spectateurs, il me parle chaleureusement. Au bout de trente minutes, il m’embrasse et déclare à ma mère : « J’aimerais avoir un fils comme lui ».

Huit mois plus tard, en remerciement de sa participation bénévole au gala de soutien, la Ville du Havre invite Maurice Fanon pour un récital au théâtre municipal. Je suis bien évidemment dans les premiers rangs et attend avec impatience d’aller le retrouver et le féliciter à l’issue du concert. Il finit par apparaitre dans le hall du théâtre, masqué par des lunettes de soleil. Je me dirige vers lui, je bredouille quelques mots. Il ne répond rien et file vers la sortie. Bien évidemment il ne m’a pas reconnu.

 

Philippe Normand a conjugué son goût du spectacle, de l’écriture et de la lecture, avec ses aventures professionnelles, au Havre, puis à Grenoble, Caen, Rouen et Deauville.

 

 

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