Skip to content

Barbara

Dis, quand reviendras-tu?

par Clem

Play Video

Je suis né à Pantruche et j’ai grandi dans le Marais à une époque où on demandait à ma daronne si elle avait pas peur en rentrant chez elle le soir, rapport à la Bande à Saint Paul qui voyoutait dans le coin. Un quartier craignos. Pas vraiment le Marais d’aujourd’hui, d’où le populo s’est fait virer, remplacé par les boutiques de luxe et les taules à 100 briques du carré. Comme l’impression d’avoir baigné dans un autre siècle quand je vois les gamins d’aujourd’hui agrafés à leur téléphone.

Minot, dans la rue, y’avait des marchandes de 4 saisons qui poussaient leurs carrioles, des rémouleurs et des vitriers qui beuglaient leur passage, pour attirer le chaland. Que ça jetait de la mitraille par les fenêtres à l’orgue de barbarie qui jouait les classiques parisiens, les chansons réalistes de la Môme. Maintenant, les nouveaux venus leur jetteraient des talbins s’ils n’avaient pas des oursins dans la poche.

Dans le terrain vague de la rue Neuve-Saint-Pierre, y avait un clodo qu’habitait une épave de bagnole. Il faisait la garderie pour le quartier. Les matrones du coin y laissaient leur marmaille. J’y ai passé des après- midi… On en sortait sales, puants, poussiéreux. À 19h les conspiges battaient le rappel des troupes et à 20h on dînait en famille devant le poste, le JT de Roger Gicquel. Ça nous en apprenait pas lerche, le petit écran n’était encore qu’une lucarne trop petite sur le monde. Nous on attendait 20h30 pour locher le Tex Avery, le Tom et Jerry avant d’aller au schloff.

On dirait que je brode une enfance d’avant-guerre, contemporaine du petit parisien de Willy Ronis ou des gamins à viscopes et genoux cagneux du père Doisneau, mais non… Que c’était le temps de Goldorak et de Candy, des Coco Girls et de la Dernière Séance. Qu’on ne portait pas de bermudas ni de godillots, mais des sous-pull en lycra et des Kickers. Et pourtant…

J’ai pas connu mon vieux, ma mère n’avait jamais approfondi le sujet, alors j’ai monté en graine me portraiturant un américain, un bourlingueur. Un qui serait pas banal, différent, mieux… Je lui écrivais des bafouilles qu’elle postait pour me faire plaisir, pour entretenir le cinoche. Un faux nom, une fausse adresse, mais un vrai timbre. Le classique, celui qu’envoyait pas une tartine aux Amériques. Au mieux un P’tit Lu à Marseille. J’ai compris plus tard que mes coucous à papa finissaient au fond des poubelles des PTT.

J’ai grandi dans un gynécée, entre une grand-mère, une tante et une génitrice. J’étais le p’tit roi, la coqueluche de ces dames. Les trois grâces étaient intellos. Libraire, muse et comédienne. A croire que ça m’a donné de l’éducation, de la culture. Côté ritournelles elles étaient plutôt grande musique, Mozart, Bach, Mingus… Les envolées lyriques, l’opéra et le jazz. Mais le clavecin et la contrebasse les empêchaient pas d’avoir à la bonne les chanteurs à texte, les rimailleurs engagés, poing levé et rimes riches. Nous on aimait Renaud, période Gérard Lambert. Brassens et le soufflet à punaises ça nous est venu plus tard, toujours avec Renaud, mais aussi grâce aux Têtes Raides et autres rock musettes. Le Blondin, ce qu’il chantait ça nous causait. Les bandes, les bals, Paname, on ira au baston… Pas qu’on pratiquait vraiment, avec nos carrures de sandwich SNCF, mais le vendredi soir on se mêlait au trèpe place de la Bastoche, aux réunions de motards et de blousons noirs… Alors des corridas et des danses, on en a vu !

J’ai 15 piges, les hormones en rouscaille. Les carats passant, on avait tous pris comme qui dirait du sirop de la rue. On n’en était pas à jouer du surin quand même, mais quand on croisait des perdreaux y nous venait une envie de chanter Cayenne des Parabellum. À ce moment-là, vous imaginez bien que j’étais à dache de croiser un jour la route de la longue dame brune. Et pourtant…

C’est un dimanche matin gris, pluvieux, breton. Il pleut sur Paris… Je rêvasse à j’sais pas quoi, la caboche dans les vapes. Ma mère a mis la HiFi et j’écoute d’une oreille distraite en regardant la pochette du disque. « Dis, quand reviendras-tu ? » Typo blanche sur fond noir, sans chichi, brute, sèche comme un coup de trique. Cadrée serrée, une brune aux cheveux courts, joues creusées, le regard ténébreux, comme un vortex, un trou noir… La bouche entrouverte, elle chante ce que je me berlure être une mélancolique et triste sérénade. L’image me fascine.

J’ai pas le moral, je suis ado, alors j’accroche, les pinces se referment. J’esgourde mieux, prête attention aux paroles. Évidemment elles finissent par poser leurs valises nostalgiques dans mon ciboulot. J’ose pas encore me l’avouer mais je trouve ça beau. Une voix chaude, profonde comme la nuit, douloureuse comme le baiser de la Veuve. Elle déballe avoir reçu un message, une missive. Convoquée à Nantes voir cézigue disparu depuis lurette. Un de ses jules, que je crois. Le temps presse, il est de l’article. Mais la dame arrive trop tard et l’animal est déjà froid. Sans un adieu, sans un je t’aime. Puis la concluse, bonsoir la compagnie, c’est pas son homme c’est son dab, son père… Mon père.

La mornifle ! Me v’la chialant. Les grandes eaux. Que j’y repense, tout d’un coup à ce manque, à ce daron inconnu, mort ou vif pour la France ou pour ma gueule. Un gouffre s’ouvre en moi que la mélodie, aussi joyeuse que l’abbaye de monte-à-regret, s’échine à agrandir. Comme si Madame savait, comme moi, que de l’avoir perdu c’est dur à supporter. Je sanglote, renifle, les chasses embuées. J’arrive plus à fermer les vannes, que ça coule, tremble. Sortez les mouchoirs !  Il pleut sur Nantes et sur mon coeur.

Ma daronne rapplique, inquiète de voir son petit trésor pisser des mirettes, mon poussin qu’est-ce qui t’arrive ? Rien, que je réponds. J’suis un homme et ça miaule pas un homme. Je respire, calmos… J’enfouis profond, très profond. Je vais quand même pas lui avouer pourquoi j’ai le bourdon, le cafard, les papillons noirs.
En matière de vague à l’âme, l’insomniaque de Göttingen me tient la dragée haute. Elle, c’est un aigle qu’elle a de noir, moi c’est des bestioles.
On a la ménagerie pleurnicharde qu’on mérite.
Dis, quand reviendras-tu ?

Clem. Enfant de Paname, écrivain du métro et soldat en carton.

Ouvrir le chat
1
Contacter Écoutons nos pochettes
Bienvenue sur le Chat de Écoutons nos pochettes.
Merci de laisser votre message, je vous réponds dans les plus brefs délais.
Gilles de Kerdrel