Taxi Girl
Cherchez le garçon
Gilles de Kerdrel
Ça devenait urgent. On ne parlait que de ça au bahut. Machin l’a fait la semaine dernière, Truc le fait tout le temps, tout le monde s’est tapé Machine, Bidule a couché avec sa demie sœur de 19 ans… Mes amis faisaient n’importe quoi, mais sans moi, visiblement.
Difficile de savoir qui baratinait, qui se la racontait. Où était la vérité ? La mienne… La mienne se tenait chaque soir dans la paume de ma main droite.
Un jour à la sortie du collège, une fille que je ne captais pas vraiment me propose de passer chez elle samedi soir. Ses parents ne seraient pas là, elle invitait du monde chez elle. Si je voulais venir, je venais avec une bouteille et des disques. Et aussi un ou deux potes. Je ne voulais pas. Comprenez : je ne voulais surtout pas amener un ou deux potes qui auraient pu me faire concurrence.
J’avais pris mon temps pour choisir mes disques, choisir les bonnes fringues, me passer les cheveux à la bière, enfin tout pour ne pas arriver trop tôt à la fête.
J’arrive. Derrière la porte j’entends Antisocial, de Trust. Pas du tout mon trip. Je sonne quand même. La porte s’ouvre.
– Ah salut… T’es seul ?
– Oui mais j’ai de la Vodka et des disques.
– Ben entre !
J’entre. Dans le salon, personne en dehors d’une autre fille déjà affalée dans un fauteuil, déjà passablement ailleurs.
Je lui tends mes vinyles dont la moitié lui glisse des mains. Elle regarde d’un air vide la pochette de Taxi Girl sur laquelle un garçon à l’air androgyne rase son visage imberbe à l’aide d’un rasoir mécanique.
–Cherchez le garçon ? Bégaye-elle en me regardant d’un sourire que je prends tout de suite pour une invitation. Mais bon, c’est peut-être moi, totalement obsédé par la possibilité de faire enfin n’importe quoi, moi aussi.
En attendant que les autres invités arrivent, je pose le disque sur la platine. Les 2 filles se mettent à danser, la bouteille de vodka passe de main en main, de bouche en bouche, le morceau s’arrête, on le remet, on danse, les filles s’embrassent, j’embrasse les filles, on fini la vodka, on commence une bouteille de whisky, ça tourne, on se touche, on se déshabille, on se suce, on boit toujours, on se renifle, on se repousse, on se prend, on se caresse, on remet le morceau, on continue comme ça, sans jamais s’arrêter, jusqu’au petit matin, hébétés, le souffle court, gênés mais pas trop finalement, avant de s’endormir, tous les trois.
Je cherchais une fille. J’en ai trouvé deux qui cherchaient le garçon. Cette soirée, c’était vraiment n’importe quoi, mais cette fois, c’était avec moi.
Gilles de Kerdrel est concepteur-rédacteur et l’auteur d’ Ecoutons Nos Pochettes