1998-2018

Cette soirée chez des amis commençait fort. Au dernier étage d’un immeuble ancien du 3eme arrondissement, le décor donnait le ton et suscitait l’enthousiasme. Je me souviens, je dansais, virevoltante, en boots noires, je dansais à fleur de peau, avec insouciance et veste féline. Les hauteurs de l’appartement accueillaient la musique résolument imposante entre rock et trip hop tandis que la fête sentait déjà l’alcool, le désir et l’émancipation.

Assez vite pourtant, l‘excitation semblait s’être évaporée. Il nous fallait autre chose. Sortir dans les rues offre souvent une déambulation prometteuse vers d’autres ailleurs. Le monde de la nuit m’attire depuis toujours. En quête de libertés et d’ivresses un flyer semblait vouloir répondre à mes attentes. C’est ainsi que j’entrais au Pulp pour la première fois. En quelques secondes, j’eu l’impression d’être à ma place. Un sentiment grisant et euphorique me traversait en des variations de plaisirs, de tempos et de mix.

Aujourd’hui, dans mon salon, l’album Radiate de Jeanne Added trouble mes pensées. Sur fond blanc, de profil, cheveux court et regard magnétique, la chanteuse illumine la pochette et rayonne. Comment ne pas être touchée par ses yeux d’une douce puissance ? Elle embrase l’instant, accentue les pulsations du corps.

Je me souviens de 2018, date de sa sortie.

Je me souviens de 1998, date de mes sorties.

Au fil des minutes, le visage de Jeanne Added me rappelle une amie rencontrée au Pulp. Il y a des souvenirs, des évidences. Dans un carnet froissé, je retrouve une photographie d’elle. Les deux visages ne font qu’un. La même coupe couleur métal, le même regard étincelant, le même air mystérieux. Elle me manque encore certains jours. Surtout lorsque l’aurore évoque son absence sur le Pont des Arts à l’automne. Nous avons été si proches durant de longues années jusqu’à son départ pour New-York. Il me reste d’elle ce cliché argentique et ces réminiscences. Chancelante, notre amitié n’a pas survécu à cette âpre distance.

Voici comment un album m’emmène vers mes souvenirs, vers ces échos entre Rennes et Paris. Avec ses intonations hypnotiques, il dégage, révèle mon passé. Il aura fallu un vinyle foudroyant, retentissant pour voir réapparaitre les soirées au Pulp où les sons électro nous accompagnaient jusqu’à l’aube.

Mutate symbolise ces mouvements de vie noctambule à juste titre. Il a dans ses sonorités une intensité souveraine, une heureuse profondeur. Et s’il ne devait rester qu’une musique, j’écouterai celle-ci ad vitam avec toujours la même envie. Non seulement cette voix exulte mais elle m’embarque vers des territoires par-delà mon histoire.

Médiatrice du livre, Sandrine Lefevre collabore également avec plusieurs revues. Son premier roman, écrit avec Jean-Paul Gavard-Perret, a été publié début 2024 chez Z4 Éditions. Le deuxième sortira en 2025 dans une autre maison d’édition.