Patti Smith
Easter
par Frédéric Pruvot
Au collège, on était une petite bande, trois garçons et trois filles. 14 balais. Le trio masculin était assez disparate dans l’apparence. Andrew, un punk franco-anglais qui passait ses week-ends à Londres chez sa mère et revenait chaque lundi avec des histoires d’aventurier du mouvement naissant. Titus, un maigrichon aux cheveux gras longs, germano américain, champion de skate free style, avec la touche de charme qu’ont les mecs qui font un truc trop cool. Et moi, sans vrai look, à part celui que ma mère tentait difficilement de m’imposer quand je faisais les boutiques avec elle. Les filles étaient beaucoup plus unies vestimentairement parlant : Jean’s, Clarks, Kickers, tuniques framboise, écharpes violettes, sacs U.S, Patchouli et Dermophile indien.
On se retrouvait régulièrement chez Gaëlle, l’une d’elles, sous les toits, pour écouter des disques, certainement ceux des parents. Il y avait toujours les trois mêmes. Abraxas de Santana, News Of The World de Queen et Easter du Patti Smith Group.
Comme on était un peu timides, on ne parlait pas beaucoup. On fumait juste des beedies en écoutant les disques tout en prenant l’air défoncé. L’eucalyptus ne me faisant pas grand-chose, j’étais, à l’époque, resté à la surface de la pochette d’Abraxas et de ses méandres psychédéliques. La pochette de Queen me laissait froid, comme son robot, même si j’aimais bien, machinalement, déplier la pochette pour voir le robot en pieds.
L’effet que me faisait la pochette d’Easter était tout autre, puisqu’elle me faisait vraiment de l’effet. C’est clair, j’étais tombé amoureux, mais bon, je n’osais pas trop le montrer. Je trouvais cette image de Patti Smith d’un érotisme incendiaire même si je ne l’aurai pas défini comme ça à l’époque. J’étais dans l’émoi d’un ado à qui on offrait une image transpirante de sexua/sensualité. Je sentais cette image dangereuse, elle m’attirait, m’excitait, m’inquiétait et m’apaisait.
J’adorais la grâce de la pose, les lignes du corps, la manière dont elle occupait l’espace, les mains dans les cheveux, le regard baissé, la lèvre inférieure ourlée, les quelques poils sous son aisselle, la chainette qui passait sous son bras en épousant le contour de son sein dont on devinait l’aréole et le téton par transparence du petit haut à bretelles qu’elle portait. Petit haut à bretelle qu’elle avait mis à l’envers (on voyait l’étiquette pour les conseils de lavage). Cette image m’hypnotisait, je l’aimais entièrement, totalement, je me demandais ce qu’elle était en train de penser à ce moment-là, qu’est-ce qu’elle avait fait juste après, elle était devenue l’objet d’un fantasme obsédant.
J’aimais aussi la musique et la voix que j’entendais sur le disque, j’écoutais en boucle « Rock’n’roll Nigger », une déflagration continue. En la regardant sur la pochette, je me disais « Waow c’est vraiment elle qui envoie ça ? » A l’époque, le sens mystico religieux de « Easter » titre de l’album ne m’était pas apparu de manière flagrante. Je m’étais fabriqué ma propre mystique, je la trouvais bandante, terriblement bandante. Au verso, il y avait le groupe qui avait l’air de se faire chier contre un mur. Moi, ça ne me dérangeait pas, j’aimais bien qu’on se voie seuls de l’autre côté.
Frédéric Pruvot