Belle and Sebastien
If You're Feeling Sinister
Baptiste W. Hamon
C’est drôle, les premières amours musicales. Ça tient à peu de choses. Un peu de chance. Un peu d’ennui. Un peu de grand frère, aussi. Un peu de « wah, c’est curieux, ça » : cette voix, cette mélodie. Et puis cette pochette, là, intrigante, et qui nous cause.
Parce que oui, ça cause, une pochette. C’était très vague jusque-là. On voyait des disques, chez Auchan, chez Carrefour. Avec une tête dessus, qui ne nous revenait pas, pas toujours. C’était ça un disque : pas attrayant. Pas pour nous. Et puis un jour, sans chercher, on trouve : du beau, enfin : quelque chose qui nous attire.
If You’re Feeling Sinister. Album de Belle and Sebastian. Début des années 2000 (sic). Dans un rayon de chez Gibert. Le rayon… rockindé (sic). On s’y était rendus après avoir entendu une chanson, sur une compile, offerte par C Un vrai magasin de disque donc, sans les cacahuètes à côté, ni les écrans tv. Get me away from here, I’m dying, s’appelait la chanson, et ça nous avait fait un sacré quelque chose.
Belle and Sebastian. « Tout au fond, à droite ». C’était ça : ce dont nous avions rêvé. Des disques en palettes, rangée B : Belle and Sebastian, Belle and Sebastian, Belle and Sebastian. Une pochette jaune d’abord, et puis une bleue. Une fille triste. Elle est belle ; sur l’autre, elle tient un petit tigre en peluche contre son sein. Une pochette verte : un type aux cheveux raides. L’air anglais. (Écossais, en réalité). Une pochette rouge, enfin – celle que j’étais venu chercher : une fille songeuse. À sa gauche, Kafka. Elle est au lit. Je tombe amoureux d’elle. Et de sa vie : « Je veux être comme elle ». M’allonger. Contempler. Lire. Vivre. If you’re feeling sinister.
J’achète. Mon disque. C’est mon disque. Mon premier disque. Je ne le lâcherai plus. Mon objet. Je pourrai l’écouter, dix fois, cent fois. Mille fois. Ne me lasser de rien : ni de la voix, ni des mots, ni des passages au mineur, des mélodies… J’aime tout : ce tout. C’est un disque, une œuvre. J’aime ce qu’il raconte, ce qu’il représente : un infini, une ouverture ! Je veux partager ça, à la terre entière, dans toute ma candeur : « C’est mon objet, mais il est pour vous, écoutez-le, aimez-le aussi, les gars ! »
J’allais plonger dans la vie, grâce à ce disque. Découvrir la musique, le beau, mon beau, ce qui m’attire. Londres, Glasgow. Les concerts (« Stuaaaaaaart », criait la fille), le rockindé – l’envie de chanter, d’écrire. « Dear Stuart, ». J’allais dérouler un fil, très long, que je déroule encore aujourd’hui : la curiosité des nouveautés, l’envie de voyager.
Belle and Sebastian. If You’re Feeling Sinister. 20 years ago. Dans les rayons de Gibert, ce fut le début d’achats compulsifs, pendant des années, de disques, pour leurs pochettes, sans savoir, juste pour ça : pour leurs pochettes. Pour rien d’autre. Les pochettes se racontent, pour sûr, elles se rencontrent, elles nous causent. On leur répond, et elles se vivent. Merci les Belle & Seb, et merci C.
Baptiste W. Hamon est un auteur-compositeur-interprète français de folk et de chanson française.