Christophe

Les Vestiges du Chaos

Matthieu Davette

J’ai commandé deux disques de Christophe en vinyle – je précise qu’on est en plein confinement – quelques jours après sa mort, avant que ne sortent l’inévitable album posthume et les éditions « remasterisées » des anciens – en général je n’aime pas tellement ce genre de productions un peu « fouilles-poubelles ». Je ne connais pas de « remasterisation » intéressante, ni chez les Beatles, ni chez Pink Floyd, qui en comptent une tripotée, j’y vois un moyen pour l’industrie du disque de relancer la demande. Les versions remastérisées de 2015 des albums de Scorpions, par exemple, semblent être destinées à des méthodes pour guitare. Au passage, en voilà une belle pochette, celle de Lovedrive, album de 1979 – mon préféré de Scorpions -, qui crérait sans doute une polémique aujourd’hui. Je me suis toujours demandé si la fille avait vraiment un chewing-gum collé sur le sein. Bref, revenons à Christophe. Je ne voulais pas attendre non plus un éventuel album posthume. Kundera en parle très bien dans son beau livre, Les Testaments trahis. Kafka avait laissé des instructions pour qu’on détruise tout ce qui n’avait pas été publié de son vivant. Brod, son ami, ne l’a pas écouté et a tout sorti, passages raturés du Procès compris. Quand l’artiste n’est plus là pour contrôler sa production, il y a des chances qu’elle ne lui ressemble pas. Les albums posthumes de Bashung et Leonard Cohen par exemple, ne sonnent pas comme un de leurs disques. Voix en avant, détachée, ce n’est pas leur habitude…

Le premier des deux vinyles de Christophe était « Bevilacqua », il n’y a pas grand-chose à en dire, un album de 1996 qui porte en germe mes préférés, ceux qui allaient suivre. C’est déjà beaucoup. Parmi ceux-ci, se trouve son dernier, Les Vestiges du Chaos. J’ai hésité à le commander. Mon fils me disait, « Quand même, tu l’as déjà en CD ! Et il est cher, vingt-trois euros. » Je lui ai pris deux exemplaires du manga One Piece, une série de BD interminable de plus de 100 tomes, et il a été moins réticent. J’ai eu le vinyle entre les mains quelques jours plus tard. Je n’ai pas regretté mon achat, d’abord grâce à la pochette. Les pochettes de Christophe ne sont pas particulièrement originales, mais elles ont le mérite de suivre une ligne directrice : un portrait du chanteur. Celui des Vestiges du Chaos occupe une place particulière dans sa discographie, il a été pris par sa fille, photographe, Lucie Bevilacqua, et c’est peut-être pour cela que je lui trouve davantage de tendresse qu’aux autres. C’est ma pochette préférée avec celle de Comm’ si la terre penchait, et sa photo argentée où il a les yeux fermés – la pose de dandy des Paradis Perdus ne m’a jamais vraiment plu. Quand j’ai mis le disque sur la platine, « Stella Botox», le premier morceau, a été repris en chœur par les enfants, il leur rappelait les vacances d’été – l’album est sorti un printemps et on l’avait écouté tout l’été. Et puis, à un moment, une certaine agitation a régné autour de la platine. En m’approchant, j’ai découvert ma compagne tentant tant bien que mal de repositionner le saphir au début de la chanson « Dangereuse », que l’on venait d’écouter. S’y reprenant à plusieurs fois, elle a dit, « C’est ça le problème avec les vinyles ». Le morceau a été joué à nouveau. Elle pleurait. Ce n’était encore jamais arrivé sur aucun des vinyles. J’ai bien sûr cessé de douter. Je tenais là un disque qui faisait l’unanimité à la maison.

Matthieu Davette
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Matthieu Davette est l’auteur d’une biographie sur Arcade Fire (Le Mot et Le Reste). Il est bassiste/chanteur au sein de @7_08club, projet musical et collectif débuté durant le confinement. Il collabore également à la revue Persona.

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