The Divine Comedy

Liberation

Olivier Rocabois

An ordinary day down on Festive Road

The children will play and never will know

That when Mr Benn of No. 52

Walks in through that door 

Peculiar events will ensue

 

Ainsi s’ouvre le premier album de Neil Hannon alias The Divine Comedy : Liberation. Premier titre francophone / francophile du Nord-Irlandais qui ne cessera de nous dire son amour. Et nous le lui rendrons bien car il jouit dans l’Hexagone d’un culte hors du commun. Le commencement d’une longue histoire (Invisible Thread, son dernier single sorti cette semaine, résume nos 32 ans d’amitié platonique). Our Mutual Friend! Bromance cuite à l’unilatéral ! J’eus même l’honneur et le privilège de l’interviewer avec mon pote David Jégou en 2016 pour le webzine Popnews à l’occasion de la sortie de Foreverland, son LP du moment.

Resserrons ici la focale nombriliste afin de respecter le brief EnP : j’ai donc vu le spécimen environ 25 fois en concert. En France bien sûr mais aussi en Italie et en Grande-Bretagne. Le pinacle fut atteint en 2022 avec la rétrospective organisée par la Cité de la Musique qui vit Neil et son ensemble jouer toute sa discographie, à raison de 2 albums en entier et dans l’ordre chaque soir pendant une semaine. Je n’en manquerai pas une miette. Ils venaient de jouer la série au Barbican donc ils étaient bien affûtés. On retrouvait les copains/copines avec bonheur tous les jours vers 19h. C’était extraordinaire, inoubliable. Comme l’impression d’aller à la Neil Hannon University ou d’avoir rejoint les rangs d’une secte (bonheur académie). Mon propre fils âgé de 19 ans à l’époque était dans la salle, on lui avait chopé une place in extremis. Paolo était dans les gradins et moi j’étais posé à l’orchestre tel un bourgeois pompidolien. Près de la régie, je passai les quelque 52 minutes de Liberation à trembler et sangloter dans la pénombre, mon fiston et les adeptes découvriront mon faciès vermillon à l’entracte et en devineront facilement le motif.

Liberation est sorti le 16 août 1993 (le surlendemain de mes 19 ans, mise en abyme! Thérapie transgénérationnelle ou psychomagie, à vous de voir !). Même si j’en ferai seulement l’acquisition 4 mois plus tard (offert par Santa avec le coffret Syd Barrett « The Madcap Laughs », merci Papa). Je découvrais l’album grâce à l’un de mes précepteurs majeurs en matière de pop music prénommé Stéphane. Je lui dois beaucoup à Stef car il m’a ouvert les yeux et les oreilles à des continents insoupçonnés (Velvet, Love, Scott Walker, Nick Drake, les Stones pop de 66-67 et tant d’autres merveilles me furent dévoilées à 18 piges. Coincé depuis toujours entre Pepperland et Hunky Dory County, j’en suis encore abasourdi). Et j’en profite pour remercier ici d’autres amis prescripteurs : Alex, David, Matteo, Christophe, Olivier : ils se reconnaîtront!

Sans oublier Alan Gac, fondateur du label Rosebud et futur manager d’un autre grand frère imaginaire (Philippe Katerine, né Blanchard). Nous étudiions l’histoire médiévale ensemble sur les bancs de la fac de Rennes 2 (Villejean) et il me donna un jour un CD offert par les Inrocks.

Une captation du concert donné par Hannon à la Cigale le 6 novembre 1993 pendant le Festival des Inrocks (le journal était alors notre Bible et ses journalistes nos professeurs).

Je ne sais plus s’il est sorti avant/après Promenade (le deuxième album de Divine Comedy paru en mars 94) mais je me souviens de l’avoir écouté en boucle, comme un trésor inaccessible, un aller simple dans la psyché de ce mec si créatif et timide. En plus des compos issues de Liberation y figuraient deux reprises : Life’s What You Make It de Talk Talk et Jackie de Brel/Jouannest (une autre idole interviewée, je vous raconterai) dans sa version Scott Walker. I was connecting the dots, le puzzle devenait cohérent, le champ des possibles infini.

A l’époque, je lis Artaud, Wilde, Burroughs, Ginsberg en portant des pantalons proto-hendrixiens et des polos aux motifs psyché type libellule/sous-Vasarely dénichés à Kiloshop. Avec ma bande de potes, nous vivons un rêve communautaire entre Britpop naissante, Pelforth tiède et marijuana bon marché. Nous sommes alors des oxymores sur pattes (bipède de préférence). On aime le raffinement mais il nous faut une dose de brutal. On nous trouve précieux et maniérés? Go fuck yourselves you bloody cunts! On trouve ça cool et inspiré et rien ne peut nous atteindre à part un baiser sur le front ou un pont de Brian Wilson.

Mais revenons à cette pochette mystérieuse qui en intrigua plus d’un. Photo du génial Kevin Westenberg, shootée dans Richmond Park en mai, trois mois avant la publication de ce premier coup de maître d’un Neil encore pubescent (22 ans quand le disque sort). Westenberg et Hannon poursuivront leur collaboration tout au long de l’ultime décennie du siècle agonisant, et ils dessinent ensemble un récit en déclinant la pochette originelle à Paris (Promenade), Venise (Casanova), Vienne (Fin de Siècle). Ils ont d’ailleurs retravaillé ensemble sur le nouvel album à paraître : Rainy Sunday Afternoon.

Oh pardon, le brief! L’album sort donc juste avant la rentrée.

A ce moment précis où le mois d’août qui exhale les dernières fragrances des excès de l’été rencontre septembre et son cortège de fantasmes inassouvis et de promesses non tenues. J’ai 19 piges, largué les études de droit pour celles d’histoire. Le seul prétexte valable que j’avais trouvé pour rejoindre cet Eldorado qu’était Rennes à nos yeux.

L’été fut lysergique, basé sur un mouvement pendulaire inaltérable : la semaine, j’officiais en tant qu’employé saisonnier dans une banque à la Trinité-sur-Mer et le weekend, je m’empressais de rejoindre ma bande et nous plongions avec délice et inconscience dans le grand bain psychédélique. Soit pour « socialiser » et planer grièvement en rave (piètre danseur, j’observais, fasciné et chéper, les chorégraphies de mes congénères). Soit nous nous enfermions dans des maisons avec jardin et rivière pour tripper au son de Forever Changes de Love, Ram de Paul & Linda, All Things Must Pass d’Harrison, le Space Oddity du beau David, la compil des Left Banke. Telle était la BO de ces 48 heures hors du temps.

Mes amis m’avaient remis sur les rails d’une certaine modernité et nous écoutions chez moi l’Ancien Testament (en gros, l’ère pré-Aladdin Sane). It’s a game of give and take, comme le chantaient Diana Ross et les Supremes. Nos groupes favoris de l’époque étaient Suede, Pulp, Blur, les Boo Radleys (Giant Steps, publié en même temps que Liberation et qui sera notre bande-son de l’automne nonante-trois).

Pour revenir aux Inrocks, je me souviens distinctement de cette double couv paru au printemps 94. L’une avec Neil, l’autre avec Jarvis Cocker de Pulp. Oisillon VS albatros. Funnily enough, ils publient tous deux un nouveau disque en 2025. L’attachement ne se dément pas : j’attends chaque sortie avec impatience et la peur d’être déçu par un grand frère admiré qui m’a tant appris. Et j’ai joué deux heures de Divine Comedy hier au piano en pleurant abondamment sur les ivoires (While My Piano Gently Weeps, take 2! My Old Piano!). Et je chante volontiers du Pulp et du Suede en concert. A l’époque, ils m’ont tous décoincé pour écrire mes premières compos.

De Festive Road à Lucy, j’aime ardemment les 13 titres de cet album qui m’a littéralement fait naître comme artisan facteur de chansons et qui aura aiguisé mon appétit littéraire pour les décennies à venir. Merci Neil. Et terminons sur du Wordsworth (les paroles de Lucy sont tirées de ses poèmes)

 

A violet by a mossy stone

Half hidden from the eye!

Fair as a star, when only one

Is shining in the sky.

 

Olivier Rocabois
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Olivier Rocabois est un auteur-compositeur-interprète, chanteur et multi-instrumentiste breton autodidacte. Son dernier album, The afternoon of our lives est sorti en 2024.

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