AC/DC
Let there be rock
par Christophe Paviot
Let there be rock, c’est ma grand-mère. Je la revois avec sa permanente grisée que ma mère reprenait tous les dimanches avec des bigoudis roses, je la revois avec ses petites lunettes rondes, sa timidité, son effacement gêné, sa façon de ne jamais vouloir déranger.
Ce jour-là, on avait passé l’après-midi dans les allées du centre Alma à Rennes, une grande surface au sud de la ZUP Sud. J’avais onze ans. A la fin de la journée, comme j’avais été sage, ma grand-mère se tourne vers moi et m’annonce qu’elle veut me faire un petit cadeau. Moi, tout de suite, je pense à un gros cadeau. Je l’entraîne vers le rayon disques. Elle trottine derrière, et là, putain, ça faisait un an que j’en rêvais, je m’empare de Let there be rock et je lui tends le vinyle.
Je ne sais même pas si elle avait déjà tenu un vinyle entre ses mains, la musique n’existait pas chez nous. Je me demande encore aujourd’hui ce que ça lui faisait dans la tête de regarder cette foutue pochette de disque. Ça clignotait un peu derrière ses petites lunettes, ça n’avait pas l’air d’être simple.
Qu’est-ce qu’elle pouvait bien voir dans tout ça ? AC/DC écrit en gros ? Même pas sûr. Un monsieur en short avec un banjo dans les mains ? Possible. Une grosse batterie de casseroles en cuivre avec un monsieur qui se cache dedans ? Encore possible. Et un monsieur qui nous tourne le dos pour lui demander de sortir de ses casseroles, pendant que là-bas tout au fond y en a un autre qui joue encore du banjo et qu’au tout premier plan y a encore un monsieur qui est là, mais on ne sait pas ce qu’il fait.
Oui, c’est probablement tout ça qu’elle voyait. Et puis aussi, ces fils électriques, ces rallonges qui traînaient par terre, ça n’avait pas l’air d’être bien rangé chez eux. Sans compter qu’en plus, ils avaient plein de gens à moitié allongés sur le sol, enfin, elle ne savait pas trop, on ne voyait que leur bras.
Bref, AC/DC venait d’entrer dans la vie de ma grand-mère. C’est elle qui m’a offert mon tout premier vinyle et c’était Let there be rock.
Christophe Paviot est l’auteur de plusieurs romans dont Devenir mort, Cassé (Kurt Cobain) et L‘horizon à mains nues.