Mad Daddys

Music For Men

Merle Leonce Bone

Elle m’est venue, cette rêverie éveillée autour d’ « I love L.A. » la chanson de Randy Newman, au moment de penser avec inquiétude et tristesse à ce que traversent nos amis Angelinos, confrontés à la fureur dévorante d’ ‘Eaton Fire’, un feu monstrueux épaulé par des vents ultra violents. Oui, c’est en regardant le clip vidéo, avec Laura Howard Granito olympienne dans cette voiture, une Humber Super Snipe Series I-V décapotable, en compagnie de Randy Newman, Laura et non pas Poison Ivy, n’ayant elle rien à y faire pas plus dans cette voiture que dans cette vidéo, bien que cela relève presque du sosie, du Rorschach, son reflet hollywoodien de l’autre côté du miroir, une sororité en narcisse, la Lady « Big Nasty Redhead » de la chanson qui y est décrite. Nous sommes en 1982. Elles ont exactement la même façon de bouder, une moue d’ennui qui s’accompagne invariablement et d’un sourire serein et d’une grimace punk, juste ce qu’il faut de vulgaire. Nous sommes les sœurs jumelles, nées sous le signe du verseau half poisson ascendant perfecto.

Et pourquoi ça : « rien à y faire » ? Oui, pourquoi pas car qui aurait parié il fut un temps pas si lointain que Kristy Marlana Wallace, la native de San Bernardino, puisse se retirer dans un monastère fût-il bouddhiste, déchirée en deux à la mort, de l’homme de l’entièreté de sa vie, Lux Interior.

 

Dès lors, le trouble s’était également installé, trois années plus tard, au sujet de sa silhouette de dos, une combinaison, avec coutures, en voile résille transparent intégral, sur la pochette des impeccables Mad Daddys (eux de South Amboy à une heure en car de Philadelphie), disque qu’elle avait participé à produire, avec son compagnon. Était-ce bien elle, comme indiquée ‘Cover Model’, en effet, sous le pseudonyme mystérieux d’une certaine Teresa Mendoza ?

 

Si l’on rajoute à cela, pour parfaire le tableau-piège, comme enigma envenima ultima, que la dite photo (au sujet de laquelle aucun credit n’apparaît sur la pochette du disque vinyle quand à l’identité de son auteur, incognito) aurait été prise par … Monsieur Erick Lee Purkhiser, Lux Interior en personne, et ce For the Love of Ivy comme le chantait, décidément, Jeffrey Lee Pierce, soutenu à la guitar par le Kid Congo Powers, que s’échangeaient, fougueux et consentant, tant le Gun Club, les Bad Seeds que les Cramps, eux et les Mad Daddys se partageant un peu plus tard le bassiste mécheux, élancé et hautain Slim Chance qui dans le sillage s’employa, depuis le New Jersey vers la Californie, à une même migration.

Acquis à leur sortie respective, les deux premiers albums Mad Daddys, gravés chez le label français New Rose, n’ont jamais cessé d’être en tête de mes all-time favs pour toujours. Et peu importe cette omniprésence de Lux Interior et Poison Ivy (de la production donc jusqu’à cette apparition gracile de la pochette, ainsi mise en scène) sur Music For Men, le premier album : leur deuxième Apes Go Wild reste leur incontestable chef d’œuvre, puisqu’affranchi justement de cette joyeuse tutelle, cette jubilatoire emprise, pour réaffirmer leur spécificité géniale propre (dangerosité non usurpée, saleté sexy d’un véritable underground) avec des perles comme I Rock magnifiée par la frappe sèche et lourde de Fletcher Sirs, la bass lascive, loud et rampante de Michael Monroe, le song-writing salace, auto-biographique, mofo-gonzo de Stinky Sono Buoni, la guitar incroyable, au fuzz extraterrestre, du bien nommé Zeus Simmons, lui retourné sur Pluton après ce passage éclair sur terre, au service d’un génie, le sien improbable, il aurait disparu mais sans mourir pour autant.

Ainsi, dystopie versus uchronie tournée par un David Lynch ? Ce que donnait comme avant-goût là aussi troublant les photos nouvelles vagues ‘velvetiennes’ touchantes des Cramps par Anton Corbijn, assez éloignées de l’image, du bestiaire incarné à venir, de ce qu’ils porteront bientôt en public ou pour la scène, de plus nasty, queer-cuir, gothabilly et latex, qu’ils se réservaient dans l’intimité de leur couple, de leur alcôve, de leur donjon victorian goth au 1206 1/2 Edgemont Street dans le quartier bohème, courant 80’s, de Los Feliz à Los Angeles. Alors ainsi Laura Howard Granito est Poison Ivy qui est Teresa Mendoza, la Two-Big-Nasty-Redhead.

Tout semblait normal oui dans cette voiture entre Randy Newman et sa passagère pour ce clip vidéo. Tout semblait s’épaissir d’un halo de mystère rassurant, sur cette pochette de disque, avec, postée dans un parc, cette sculpture de chair gréco-latine revêtue de la gaine riche en soufre carthaginois d’une Salammbô Queen of fuzzy twangy death-rock, en vis à vis d’une sculpture, véritable, en marbre, d’homme.

Nous sommes les sœurs jumelles nées du signe du mojo, ascendant switch, les renardes doubles et magnifiques devenues invisibles. Hell yeaah, I love L.A., des lyrics narrant un exil d’Est en Ouest, du grisâtre de l’asphalte à destination de la plage, de la mer et du soleil comme un remake du film Macadam Cowboy, comme un écho à ce que Lux et Ivy, en expatriés, eux oiseaux de nuits, plus noctambules, tout comme Tom Waits (de retour, depuis New York), Lydia Lunch un temps, Darin Lin Wood, Joe Truck Kasher ou Slim Chance, et beaucoup d’autres encore avaient eux-mêmes entrepris.

Parce que ne nous y trompons pas, le trouble est accentué, cette chanson parle bien de… Poison Ivy, plus encore que de Laura Howard Granito, encanaillée, escamotée, subtilisée dans le livret, dans les sillons gravés, sur la péloche. Mais seule la plus fictionnelle d’entre toutes fixe durablement l’objectif, avec persistance, et de surcroît de dos, Teresa Mendoza, là où l’une retombée dans l’anonymat et l’autre retirée dans le silence de la méditation, alors sur les bandes et les bobines éternellement.

Merle Leonce Bone ©, janvier 2025.

 

Regarder le clip I Love LA / Randy Newman

Merle Leonce Bone
Récits aléatoires
Récits par artistes et auteurs
Retour à l'accueil

‘Blackbird’ Merle Leonce Bone est né en 1972 à Limoges un an après que le dadaïste Raoul Hausmann y est mort dans le même hôpital, dans la même chambre. Peintre, critique rock et poète, il est salué dans la sphère underground comme auteur du météore Jesus Elvis Junkie Blues (Éditions Camion Blanc), agitateur exigeant de ce qui se fomente dans l’ombre, collaborateur scribe de projets d’envergure tels les disques hommages Jeffrey Lee Pierce Sessions avec Nick Cave, Dave Gahan, Debbie Harry, Warren Ellis, Kid Congo Powers, Mick Harvey, Jim Jarmusch ou Lydia Lunch, découvreur de talents d’un rock’n’roll sauvage et sombre. Son roman Paris, Moon (aux éditions Le Boulon) écrit à quatre mains avec la chanteuse Brisa Roché est sorti en 2024.

 

 

I Love LA / Randy Newman

 

Ouvrir le chat
1
Contacter Écoutons nos pochettes
Bienvenue sur le Chat de Écoutons nos pochettes.
Merci de laisser votre message, je vous réponds dans les plus brefs délais.
Gilles de Kerdrel