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The Boo Radleys

Giant steps

par David Jégou

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Au début des années 90 tous les étés semblaient identiques. Dès la fin de l’année scolaire je commençais un job d’été. Au guichet du Crédit Lyonnais à Sarzeau ou bien à Vannes dans le commerce de mes parents. Dans les deux cas, les journées me semblaient interminables. Les clients, principalement touristes, préféraient s’entasser à la plage plutôt que de se promener en centre-ville.

Si chaque heure de travail semblait durer le double, c’était un peu ma faute. Je n’attendais qu’une chose. Qu’il soit enfin 19h pour faire un aller-retour à la plage et me baigner avant de rejoindre des amis pour la soirée. Et bien trop souvent une bonne partie de la nuit.

Nous avions nos rituels. Parfois quelques verres sur une terrasse du port, avant de se replier dans l’appartement de François-Régis. C’était le seul de la bande à ne plus vivre chez ses parents. Il travaillait chez le disquaire local et possédait une grosse collection de disques que l’on écoutait à plein volume en vidant des bouteilles de vin mousseux bas de gamme. Généralement acheté au Stock de la rue du Menée, il donnait mal à la tête dès le deuxième verre. Le voisin de François-Régis, un ivrogne que l’on surnommait “pamplemousse” pour une raison que j’ai oubliée, venait régulièrement frapper à la porte et exigeait que l’on stoppe ce vacarme sur le champ. Autant nous demander de nous couper un bras.

C’est en partie la musique qui nous unissait. A cette époque, on ne parlait quasiment que de ça. On ne vivait que pour ça. Nous étions tous des éponges avides de découvertes.

Comme pour des milliers d’autres, c’est Bernard Lenoir et les Inrockuptibles qui m’ont ouvert un nouvel univers. Du jour au lendemain, j’ai arrêté d’écouter de la techno pop et de l’electronic body music pour devenir un snobinard d’indie kid.

Un des plus grands chocs musicaux de cette période de ma vie est associé à l’été 1993. Particulièrement à la sortie de Giant Steps des Boo Radleys. Avant même d’entendre le moindre morceau, la découverte de la pochette m’a fasciné. Situé juste à côté de la caisse de chez Euterpe, le disquaire local, se trouvait un tas de flyers annonçant la sortie de l’album. Le visuel de Stephen Wood avait quelque chose de différent et d’intrigant qui invitait à la réflexion.

Entre le dessin et le collage, j’ai d’abord pensé à la représentation d’un lieu de culte. La grandeur des Boo Radleys y serait célébrée par un imposant objet de propagande : une sphère, posée sur un autel. Telle une boule à facette, les carrés de miroir ont été remplacés par des effigies de l’homme oiseau déjà présentes sur plusieurs pochettes des Boo. J’ai eu l’intuition que les Liverpuldiens allaient sortir un album marquant.

Cela se confirmera sur la fois de quelques morceaux diffusés en avant-première chez Lenoir avant la sortie officielle de Giant Steps. Enregistrés sur une cassette, je les écoutais en boucle sur l’auto radio de ma Renault 5 verte à la carrosserie piquée par la rouille. Cette cassette ne me quittait pas, je voulais partager cette découverte avec tous mes amis, pouvoir l’écouter à n’importe quel moment. Upon 9th And Fairchild et Barney (…And Me) ont même été jouées à plein volume dans un champ de maïs à une heure du matin avant d’aller en discothèque.

Si en 1993 Mitterrand a annoncé sa volonté d’arrêter les essais nucléaires, Giant Steps a eu l’effet d’une bombe atomique dans mon univers musical. Il a éclipsé tout le reste pendant quelques mois.

C’est grâce à Giant Steps, aux chroniques de l’album et aux interviews du groupe que j’ai approfondi mes connaissances en jazz et en dub. Il m’a aussi incité à regarder avec insistance dans le rétroviseur pour découvrir des chefs d’œuvres de la pop des 60’s. Il a intensifié des amitiés avec des gens qui, comme moi, suivaient le groupe partout où il se produisait dans l’ouest de la France.

J’ai d’ailleurs un souvenir très net de Martin Carr, la tête pensante fortement intoxiquée des Boo Radleys portant un t-shirt du groupe Love lors d’un concert à Rennes. Il m’a avoué récemment regretter de l’avoir prêté à sa petite amie de l’époque. Elle ne le lui a jamais rendu. Je lui ai répondu que ce n’était pas très grave car ce t-shirt m’a poussé à acheter le sublime Forever Changes.

J’ai bien évidemment pris de grandes claques musicales avant et après Giant Steps. Pourtant c’est le seul album auquel je pense tous les ans à la même période, au mois d’août. Chaque été sa pochette m’apparaît comme un flash. Je tente encore d’en percer les mystères. J’éprouve aussitôt le besoin d’écouter l’album en boucle. Replongé en 1993, je repense au job où je lutte pour ne pas m’endormir, aux soirées chez François, au bord de mer. Pour une fois, un été n’aura pas été identique aux autres.

David Jégou est rédacteur chez Section 26 et DJ dans les collectifs The Crucial Three et Composition Of Sound. Malgré un début de calvitie et quelques cheveux blanc, il reste un indie kid depuis la fin des 80’s.

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