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Orchestre Rouge

Yellow Laughter

Vincent Bernière

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J’avais juré que je ne parlerai plus de drogue. Promis, demain j’arrête. Cinq types chantent autour d’un sixième qui joue de l’accordéon. Je ne sais pas qui c’est. Certains portent des brassards, des uniformes militaires. Ça doit être l’orchestre en question. L’image est rouge et noire.

Sur la pochette intérieure, la photographie en noir et blanc ayant servi à l’illustration est reproduite au milieu d’une immense marie-louise blanche. L’accordéoniste rit jaune, ce qui pourrait évoquer le titre du LP. Aucune indication au verso, sauf le nom de Martin Hannett, ce qui signifie tout de même quelque chose. « Yellow Laughter produced by Martin Hannett ». Chez RCA, une major. L’illustrateur n’est pas crédité.

Pendant des années, l’affiche de promotion du disque ne m’a pas quittée. Où que j’aille, elle était au mur. Jusqu’à ce qu’elle soit trop destroy. Il n’y avait que le titre du groupe qui était inscrit et la bichro de l’image était plus tranchée. Je l’avais achetée dans les années 1980, rue Pierre Lescot aux Halles, à Paris, dans une boutique tenue par un punk. Un rescapé de la guéguerre Open Market / Harry Cover ?

J’ai toujours aimé les visuels sans texte et les musiques sans parole. Avec un copain, on collectionnait les badges en plastique sans texte. La pochette du premier Stranglers, Unknow Pleasures de Joy Division, ce genre de visuel. Dès qu’il y avait un mot, on n’était plus intéressé.

Ça voulait dire quoi, Orchestre Rouge ? A l’âge de quinze ans, ma mère m’avait envoyé voir un psy. Il s’appelait Stanislas Tomkiewicz. Un grand ponte de la pédopsychiatrie, rescapé du ghetto de Varsovie, survivant du camp de Bergen-Belsen et membre éminent du parti Communiste jusqu’en 1972. Il s’était beaucoup investi auprès de ceux qu’on commençait tout juste à appeler, dans les années 1960, les « jeunes ». Disons les loulous. Et il avait tenu à conserver une consultation libre, à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Je m’y suis donc rendu pendant quelques temps. Un jour, je me trimballe avec un sac de disques. Il me demande ce qu’il y a dedans. Je sors le rieur jaune. « L’Orchestre Rouge !, s’exclame-t-il, incroyable ! Il y a donc un groupe de rock qui s’appelle comme ça ? » Apparemment.

Une autre fois, Tomkiewicz me demande si je me drogue. Je lui dit que non. Il me répond : « Bien sûr, un garçon aussi intelligent que toi ne peux pas se droguer. » Il riait jaune ?

En 1999, Tomkiewicz publia le premier volume de son autobiographie : L’Adolescence volée. Il y écrit : « Si quelqu’un avait eu l’idée de me demander pourquoi je travaille avec les adolescents, j’aurais pu répondre : c’est parce que je les aime. »

L’Orchestre Rouge était un réseau d’espions soviétiques qui opéraient durant la Seconde Guerre mondiale. L’un des titres de la face A de Yellow Laughter s’appelle Je cherche une drogue (qui ne fait pas mal). C’est pas le single. Le single c’est Soon Come Violence. « Je me méfie des titres entre parenthèses », disait mon ami Raphaël Turcat, ex-rédacteur en chef de Technikart. Il avait raison.

J’ai cherché pendant des années. J’ai pas trouvé. Et je ne sais toujours pas qui est sur la pochette de Yellow Laughter.

Vincent Bernière est écrivain, journaliste, commissaire d’exposition et éditeur français.

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