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New Order

Blue Monday

par Frédérick Rapilly

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Comment ai-je pu dégoter ce disque, ce maxi 45 tours introuvable, dans ma Bretagne, ma province perdue, ma chère petite ville de Vannes où il n’y avait dans mon souvenir au début des années 80 qu’un seul et unique disquaire fréquentable ? Par quel miracle ? Sa pochette noire, percée de trois trous de formats différents, avec son liseré sur le côté alternant des codes couleurs (rose, vert, violet, orange, etc.) me fascinait comme le sombre monolithe de 2001, Odyssée de l’Espace aurait sûrement attiré le jeune australopithèque curieux que j’aurai pu être.

A l’époque, je n’avais pas compris que le design était celui d’une disquette d’ordinateur. Je n’en ai pas d’ailleurs. Je veux dire… D’ordinateur. Pas encore. J’ai donc 15 ans. Je ne suis pas bien grand. J’ai les cheveux tout blonds, presque blancs l’été quand le soleil cogne. Je me suis mis à écouter de la musique depuis un, deux ans. Mais je n’aime pas ce que les « Autres » aiment. Je cherche des trucs bizarres. L’été dernier, j’ai acheté avec mes économies mon premier 33 tours en Irlande, à Limerick, où j’ai appris l’anglais. J’ai choisi l’album des Sisters of Mercy. La pochette me paraissait suffisamment étrange. Quand on l’a écouté dans le salon avec mon correspondant, Jonathan, son père m’a regardé et m’a dit que c’était de la « Devil’s music. » La musique du diable ? Ça me plaît bien. En plus, je lui ai dit que je n’irai pas à la messe dimanche prochain avec eux. Je ne crois plus en Dieu. Ou plutôt, depuis la mort de mon père, j’ai passé un deal avec Dieu : « Tu m’as pris mon père. Tu m’as bien fait chier. Si tu recommences à me faire chier, je te promets : je te défonce la gueule. »

Il n’y a que Lui et Moi (si je Lui mets une majuscule, il m’en faut une aussi, non ?) qui sommes au courant pour l’instant. Jonathan m’a regardé. Épaté, je crois. Mais il n’ose pas dire à son père qu’il ne veut pas, lui non plus, aller à la messe. Pas encore…

Depuis que je suis rentré d’Irlande, je me suis mis à traquer les pin’s avec des noms de groupes improbables. J’ai repéré celui de New Order. Je ne sais plus comment. Peut-être des cousins plus âgés en Normandie ? Le nom me plaît bien. Il claque. Le groupe New Order a donc rejoint la longue liste inscrite au marqueur indélébile sur ma table de classe : The Human League, Simple Minds, Kajagoogoo, Talk Talk, The Cure, Depeche Mode, Flock of Seagulls.

Retour à Blue Monday… Je me souviens. Je suis dans ma chambre d’adolescent, au premier étage, avec vue imprenable sur le cimetière municipal. Je prends l’objet entre les mains. Je le tourne et le retourne. J’enlève le plastique, je sors délicatement le disque de la pochette en carton. Il y en a une deuxième en-dessous, plus fine, complètement noire aussi. Je respire ensuite l’odeur du vinyle si particulière. Comme du réglisse mélangé à du goudron (du moins, c’est ainsi que je m’en souviens). Puis je pose l’objet sur la platine de mon père que ma mère m’a confiée. Le choc. Cette batterie qui semble mitrailler des inconnus, puis ce gimmick de synthé qui sautille, le coup des cymbales (je crois que cela s’appelle des charleys), et cette basse qui vient rebondir comme un énorme Malabar. J’adore.

J’ai trouvé la bande sonore qui rythmera toute ma vie…. La plus triste des chansons pour aller danser. Et la plus funky des chansons mélancoliques. « How does it feel / When you treat me like you do… » Ah… Dieu ne m’a pas laissé longtemps tranquille. Mais il s’en est pris plein la gueule aussi. Je lui avais promis. Ex-aequo. Mais on s’aime bien finalement.

Frédérick Rapilly est journaliste, grand reporter, essayiste, auteur de plusieurs thrillers et d’une bio sur Talk Talk : Mark Hollis, ou l’art de l’effacement.

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