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Madonna

Papa Don't Preach

par Lisa Balavoine

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J’ai demandé à mon père de m’acheter le 45 tours. J’aurais pu demander à ma mère, mais je voulais que ce soit lui. Je le vois très peu, un week-end sur deux et la moitié des vacances. À cette époque, Madonna c’est ma vie, ma préadolescence, ma sortie de l’enfance. Ma chambre est tapissée de posters d’elle. J’aime tout : ses cheveux en désordre, ses bracelets en plastique, ses fringues sexy, son visage et sa voix.

J’entends Papa Don’t Preach pour la première fois à la radio. C’est un tube, la chanson passe tout le temps, sur toutes les ondes, toute la journée. Je regarde le clip qui se place en haut du Top 50. Madonna a coupé ses cheveux, ils sont blond platine et courts. Elle arbore un look plus sage, marinière, jeans, ballerine et perfecto. Elle est parfaite en teenager qui n’en a plus l’âge mais pour moi, c’est une grande sœur, elle a éternellement 17 ans, elle vit avec son père, elle traine après les cours, elle a un amoureux.

C’est peu de dire que je veux être elle, je SUIS elle, mais personne ne le sait. Madonna, c’est mon secret. Mon père m’achète le 45 tours. Je me souviens le tenir entre mes mains dans le canapé du salon où j’écoute la chanson au casque. Son visage en noir et blanc sur la pochette. Ses yeux qui me fixent, sa bouche entre ouverte. Le cuir du perfecto. Le titre de la chanson écrit en bleu. Ce sera l’album True Blue, ceci explique peut-être cela. La chanson est parfaite.

La ronde des violons dans l’intro m’attrape le cœur en une seconde. Puis la basse vient se plaquer dans le second temps. « Papa I know you’re going to be upset / Cause I was always your little girl ». Amour immédiat et total pour ces mots qu’à l’époque je ne comprends pas. J’entends juste qu’elle répète souvent « Papa »et ça suffit pour me prendre le ventre. Parce que j’aime mon père et que je ne lui dis pas. Alors j’écoute cette chanson en boucle comme si elle pouvait le lui dire à ma place. « Daddy, daddy if you could only see ». Ce moment du break me fait monter les larmes aux yeux. Je ne comprends rien au texte, je l’imagine, c’est moi et c’est lui.

Je demande à mon père de me traduire les paroles. Il s’assoit à côté de moi et il le fait, de façon peut être approximative, je ne me souviens plus très bien. Je sais qu’il est assis à côté de moi, que c’est un moment rare, un moment que je dois à Madonna. Il me raconte l’histoire en brodant sûrement un peu. Il s’agit d’une histoire d’amour, le père n’est pas content, la fille veut qu’il la comprenne et respecte son choix. Mon père passe sous silence le vrai sujet de la chanson, la grossesse, l’enfant qu’elle souhaite garder. Je comprendrai cela plus tard, toute seule, du temps aura passé.

C’est ma chanson et j’en fais ce que j’ai envie d’en faire. L’histoire d’une fille qui n’arrive pas à parler à son père, qui aimerait qu’il la comprenne, qu’il la connaisse, qu’il l’aime. J’ai ma version personnelle de Papa Don’t Preach dans ma tête, dans ma mémoire. Je suis la seule à la connaître. Bien entendu, je ne lui dis pas tout ça. Je ne sais pas dire aux gens que j’aime que je les aime. J’espère alors qu’il le devinera. « Cause i was always your little girl ». S’il ne comprend pas, alors je ne sais pas comment lui dire ça.

Peu de temps après, cette même année 86, il m’annoncera qu’il part vivre dans le Sud, à mille bornes de moi. Il me semble que le disque a disparu dans le déménagement, un peu comme a disparu notre relation, un air qu’on a aimé, sur lequel on a bien dansé puis qu’on a préféré oublier. Une histoire avortée.

Lisa Balavoine est l’auteure de 2 romans : Eparse et Un garçon c’est presque rien.

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