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Christian Death

An Official Anthology of "Live" Bootlegs

par Tony Leduc-Gugnalons aka Greta Schröder

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Dans mon petit village du bout du monde, les seuls sillons qu’il m’est donné de contempler, sont ceux grossièrement tracés par les engins agricoles. Pas l’ombre d’un disquaire et, hormis quelques grands frères contraints de végéter dans ce no man’s land culturel, peu d’opportunités s’offrent à moi de tenir, dans des mains encore quasi vierges, ces galettes sonores qui vont devenir l’essence même d’une vie.

Mes parents possédaient bien une vingtaine d’oeuvres vinyliques mais mon amour inconditionnel taira au monde entier l’étendue de la misère auditive dont ils ont toujours fait preuve en dehors d’un intérêt opportun pour Jacques Brel. Alors, en attendant que des jours meilleurs me permettent de goûter sans modération à cette ambroisie, je sustente allègrement mon esprit de cassettes enregistrées, sources de découvertes toujours plus enthousiasmantes que je dois avant tout à mon cousin.

Ses visites régulières pendant les vacances scolaires demeurent un remède à ma torpeur et l’occasion sans cesse renouvelée de nourrir mon appétence pour les musiques de l’ombre. Depuis plusieurs mois, en effet, le noir le plus sobre gangrène une garde-robe jusque-là dévolue aux couleurs et je ne jure désormais plus que par les Doc Martens. Unique coldeux culturellement méprisé, je ne peux, au lycée, compter sur personne pour étoffer mes connaissances. Qu’il en soit ainsi, à l’image de Lancelot, je mènerai seul ma quête du Saint Graal.

    En cette année 1990, celle de mes quinze ans, et qui commence par l’acquisition d’une véritable chaine hi-fi, la découverte de Christian Death va soulever en moi un séisme d’émotions, comme l’avaient fait, du reste, Joy Division et The Sisters of Mercy quelques années plus tôt… L’écoute première de “The Wind Kissed Pictures” m’apparaît alors comme l’aboutissement malaisé d’une quête pleine d’espoirs sur le plan musical. Cette musique lourde, plaintive et acérée ouvrait une large porte sur le destin tragique de l’humanité et je sentais qu’elle n’était en aucun cas la bande son des enfers mais bien celle de la vie.

Je n’ignore pas que cette référence ultime a indubitablement perdu de sa superbe aujourd’hui ; le rictus désobligeant et quelque peu condescendant de mes pairs ne manque jamais de me l’assigner avec force, mais aussi naïfs et maladroits que peuvent sonner certains morceaux, ils me ramènent inlassablement à ces moments où s’affirme notre personnalité. Mon isolement culturel était aussi un cri munchéen à la face d’un monde somme toute conventionnel. Christian Death s’est alors imposé comme une arme redoutable.  

Je ne connais encore rien de l’histoire tumultueuse du groupe, des guerres intestines qui vont ronger la bête de l’intérieur et cliver pour des décennies les plus fervents adeptes d’un combo qui n’a plus en son sein un seul membre du line-up originel… L’urgence n’est toutefois pas aux polémiques à une époque où je ne possède que cinq malheureux morceaux de la formation américaine: ”The Wind Kissed Pictures”, “The Lake Of Fire”, “This Is Heresy”, “Ten Thousand Hundred Times” et “Sick Of Love”…

Un constat s’impose, celui d’acquérir toujours plus de titres… Inutile de dire que ma bourgade de bouseux ne me sera d’aucune aide, même si sa jeunesse délinquante noie ses humeurs cafardeuses et désenchantées aux sons des Sex Pistols. Cette lie de la société, telle que la définissent les anciens du hameau, éprouve d’ailleurs une certaine sympathie respectueuse pour ma personne qu’elle appréhende comme un cousin abâtardi venant d’une Europe continentale aussi froide que cynique.

    Le salut va venir, quelques mois plus tard, d’un bref séjour familial dans la capitale… Ma méconnaissance des milieux indépendants et autres temples du disque, tel New Rose, me conduit vers les espaces plus convenus de la FNAC à Montparnasse. J’ai veillé à noter un certain nombre de références sur un bout de papier soigneusement plié. Sans doute ai-je dû passer des heures entières à fantasmer ce moment où j’allais enfin pénétrer l’antre des dieux pour y dépenser 500 francs… Une fortune pour moi à cette époque…

Mais en pénétrant l’arche de la FNAC, j’ai immédiatement oublié ma liste et tout le reste, conscient qu’il était autrement plus jubilatoire de se laisser porter par les rayons qui dégueulaient du vinyle ad nauseam. Passée l’ivresse de l’instant, je me dirige imperturbable vers l’onglet “Christian Death” et découvre que le bac est parfaitement achalandé.

J’inspecte les moindres recoins de chaque disque avant d’arrêter mon choix sur An Official Anthology Of Live Bootlegs. Sa pochette jaune absolument dégueulasse fait apparaître, dans un cadrage des plus douteux, le bras décharné d’un homme dont il est sans doute préférable de ne pas voir le visage – celui du Christ ?

Le dos de la pochette compile, quant à lui, une série de photos prises durant les diverses tournées et me permettent enfin de poser des visages sur la musique. Valor, Rozz Williams, Gitane Demone et David Glass se conforment avec talent à mes aspirations gothiques et mon goût pour l’androgynie ; mais j’envie surtout terriblement ces spectateurs pris sur le vif, comme si ces derniers avaient vécu un moment important dans l’Histoire des hommes.

J’aurai moi aussi le plaisir d’en faire partie plus tard mais cette éventualité me semble encore si improbable qu’elle s’ancre inexorablement dans un monde de fiction… Cette cover, aussi désespérément ratée que la plupart de ses consoeurs, fut le point de départ d’une mythologie personnelle élaborée sur la base des fantasmes souvent les moins en phase avec la réalité.

C’était l’un des avantages évidents de l’ère pré-internet où nous étions le plus fréquemment seuls face à notre ignorance mais devant un imaginaire sans limite aucune. C’était d’ailleurs l’époque où nous achetions les disques à la seule vue des pochettes… 

C’est malgré tout le nombre de titres présents sur le track-listing qui va achever de me convaincre de mon achat. Treize au total et pas un seul qui me soit connu… L’idée même que le son n’allait sans doute pas se montrer à la hauteur de mes attentes, ne m’a juste pas effleuré un seul instant… Et pourtant… Les visuels immondes au contenu dispensable font, semble-t-il, aussi les grandes oeuvres de notre histoire personnelle…

Avec le recul et ma connaissance sans failles du combo, ce disque est assurément le dernier que j’eusse été inspiré de choisir tant il demeure anecdotique. Si je pouvais remonter le temps et élire un opus de Christian Death sur la simple esthétique de sa pochette, l’une des moins pathétiques dirai-je, j’aurais à n’en point douter porté mon attention sur la version américaine de Ashes, présentant une illustration célèbre de Gustave Doré. Bien évidemment, je n’éprouve pas le moindre regret car ce disque répondait sans commune mesure à mes exigences du moment et, s’il n’a jamais été et ne sera jamais une oeuvre de chevet, il n’en demeurera pas moins un disque important de ma vie.

Tony Leduc-Gugnalons est l’auteur de Afterpunk Highlights – l’ère de la glaciation sonore – 

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