The Smiths

Hand in Glove

Alain Artaud

Une paire de fesses, un cul quoi… De mec en plus.  Et avec des bourrelets. Si c’est ce disque qui va me sauver les miennes, de fesses, je veux bien être pendu. Mais reprenons, je vous sens perdus.

Au début des années 80 je suis jeune, j’ai 22 ans tout frais. Passionné de musique, je touche le gros lot car ma candidature est acceptée par la maison de disques Virgin, à Belleville. Je suis au paradis, je m‘extasie devant la moindre fourniture de bureau, le télex pour recevoir des messages, le téléphone à plusieurs touches, tout me plait même les post it.  Chez Virgin nous sommes branchés sans encore le savoir, nous regardons les autres maisons de disques avec condescendance, nous sommes différents, un peu snobs, c’est chouette.

Un jour mon patron rentre dans mon bureau et jette un coup d’œil à mes derniers achats de disques car oui, je suis un acheteur compulsif : Sur ma table les pochettes des groupes Scritti Pollitti, Aztec Camera et Weekend. J’adore ces disques que je paye très chers en import car ils ne sont pas distribués en France : sur les pochettes toujours le même logo :  le label Rough Trade. Ça n’échappe pas à Patrick, qui me lâche avec un sourire cette phrase prémonitoire que je ne comprends pas tout de suite mais qui raisonne encore en moi comme une intervention céleste :

Tu devrais signer la licence du label Rough trace pour la France, tu aurais tous ces disques gratuits dans ton service nouveautés au lieu de te ruiner. 

48 heures plus tard, ok, j’ai enfin compris : je prends rendez-vous avec Rough Trade: En 1983 la France est occupée : Jackie Quartz triomphe avec son « Juste une mise au point’ », Julie Piétri en duo avec Herbert Léonard ravage nos campagnes et puis …Karen Cheryl en plus! Ils sont tous au top !

Je pars à Londres et Je vais sauver la France : pas en Eurostar à l’époque mais en avion. Atterrir dans le brouillard de Londres me donne l’impression de rejoindre le Général de Gaulle.  J’ai rendez-vous avec Geoff Travis le patron de Rough Trade à qui je trompète mon enthousiasme naïf et excité en vantant les trois disques susnommés.

Peu de temps après nous signons un contrat pour que Virgin France distribue les disques Rough Trade, et nous versons une avance sur les royalties générées sur les futures ventes de leurs belles signatures.

Mais catastrophe !  3 mois plus tard, Scritti Politti quitte Rough Trade, Aztec Camera et son leader Rody Frame signent chez Warner où il fera ses plus mauvais disques (bien fait pour lui), et le groupe Weekend split !

Re avion pour Londres, le patron de Rough Trade écoute calmement mes glapissements en anglais : je suis foutu, jamais je ne récupèrerai l’avance si tous vos groupes se font la malle. Il me regarde avec son air moqueur d’éternel étudiant, me dis de me calmer,  qu’il y en aura d’autres, des groupes. En me raccompagnant à l’ascenseur, il me donne une tape amicale sur l’épaule et me tend un 45T :

Écoute ça quand tu seras à Paris.

Sur la pochette, un mec à poil, de dos en noir et blanc. Je me dis qu’il se fout de moi, que ce n’est pas avec le cul d’un inconnu sur une pochette de 45t dont je n’ai toujours pas entendu la moindre note que je vais récupérer le blé de Virgin France. Et puis c’est sûr, je vais passer pour un con.

Dans le métro  qui m’amène à l’aéroport, je scrute la pochette sans vraiment réaliser que je ne suis pas tout seul à détailler cette paire de fesses : je surprends le passager à côté de moi les regarder aussi (il va penser quoi de moi le passager ?), je range précipitamment le 45 t au fond de mon sac.

Dans l’avion, je ressors le 45 t et mon voisin (qui sent très fort l’eau de toilette) me demande si ce sont les miennes, de fesses (je préfère me dire que c’est de l’humour anglais).

J’arrive enfin en France au bureau, sans enlever mon manteau je pose le 45T sur la platine, la voix plaintive de Morrissey remplit la pièce et la guitare de Johnny Marr carillonne, incisive, dans mes oreilles. C’est imparable, c’est poétique, presque punk mais tellement mélodique, c’est un choc, c’est cru, c’est rock, ça claque, j’adore.

Printemps 83, la Smithmania déferle en Angleterre, les Smiths deviennent culte en France, je récupère bien sûr mon avance voire bien plus et je plastronne à qui veut m’entendre :

Quand j’ai vu cette pochette tellement décalée, j’ai tout de suite compris que ça allait être énorme (J’apprends vite le métier…).

Vraiment, j’adore les fesses de ce mec ! Mais au fait à qui appartient-il, ce popotin ?  À un certain George O Hara, mannequin et culturiste des années 70, trouvé par Morrissey dans un livre sur l’histoire du nu masculin.

Ah ces anglais !

 

 

 

Alain Artaud
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Avant de fonder sa propre maison de consulting, de production et éditions musicales (Manassas, Alain Artaud a dirigé Labels (Virgin Group), Source (Virgin Group),V2 Records et Polydor (Universal). Il est collectionneur de vinyles, joue dans plusieurs groupes et pense que Joni Mitchell écrit et chante pour lui tout seul (mais c’est pas grave). Il a également écrit un autre récit pour Écoutons nos Pochettes autour de Tapestry (Carole King)

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