Jack The Ripper
The Book of Lies
par Julie Konieczny
Septembre 2001. Loin de tout et principalement de moi-même, j’observe les avions depuis la piscine en forme de coeur dans un petit hôtel de Cabarete. Et ça ne va pas fort malgré les caipirinha, je commence enfin à comprendre pourquoi les îles paradisiaques peuvent à ce point me déprimer. Pendant ce temps-là, six jeunes parisiens sont probablement les plus fiers et les plus heureux du monde puisque leur premier album va sortir. Ce qui n’était pas du tout cuit.
Début janvier 2002, mes vingt et un ans, mon bikini et moi-même sur la côte atlantique de la République Dominicaine, c’est de l’histoire ancienne. J’ai compris dans la bagarre qu’avant la catastrophe on ne pressent rien, qu’on se tient parfois à deux doigts du désastre, un bouquet de fleurs ou un verre de Mojito à la main.
Je me rends à la Fédération Nationale d’Achats des Cadres par réflexe, comme on avance à marée basse, sans réfléchir et très loin du sable sec, avant de piocher un immanquable joyau dont on a entendu tant de bien. Et puis d’autres fois c’est une trouvaille qu’on recueille sans trop savoir pourquoi. Il en va de même des livres et des disques toujours animés par ce constat : j’ai du retard à rattraper.
Ce jour-là, comme souvent, je divague un peu, fauchée comme les blés ou bien le coeur en miettes ou encore sans trop d’illusions projetées sur mon avenir – étudier la philosophie comme garnir ses poches de billets de Monopoly. Je miserais volontiers sur ces trois états d’âme à la fois et une intuition complémentaire : 2002 est une année qui ressemble un peu à 2021, quelques détails lumineux émergeants sur le tableau de ruines. J’ai probablement déjà dépensé en avance et en cadeaux familiaux l’argent offert en décembre quand j’installe le casque sur mes oreilles au rayon « indépendants ». Et si j’installe le casque sur mes oreilles c’est que j’aperçois une pochette à la borne d’écoute. Elle est hautement séduisante, intrigante, elle se distingue par essence et présage d’une certaine exigence. Elle n’est pas d’ici, pas d’aujourd’hui, elle raconte un voyage lointain, c’est une peinture du brésilien Juarez Machado et c’est tout à fait simple : je la trouve sublime.
A ce stade, je suis bien en peine d’en dire davantage. Je laisserai un manque criant de précision hurler que c’est une grande, une longue histoire de chiens et de loups. Ce qu’il faut retenir c’est que The Book of Lies paraît en septembre 2001, avant ou après l’ancien monde d’avant ? Je ne le sais pas du tout mais ce disque aura bientôt 20 ans.
Je sais tout de même que le 19 janvier j’étais de retour dans ce grand magasin (qui fournit désormais d’essentiels téléphones mobiles) pour le rendez-vous indiqué sur le dépliant en noir et blanc : un « show case » de Jack the Ripper et que je ne l’oublierai jamais.
Ah oui, il y a quelque chose d’autre que je sais, que je crois et espère : celle que même à bout de souffle il ne faudra plus jamais interrompre que pour ramasser les verres sales et les redistribuer aussitôt mal lavés, reviendra bientôt. Il faut que la fête revienne, Il faut que la fête continue.
Julie Konieczny est médiatrice culturelle à l’Atelier du Poisson Volant, et coordinatrice pour l’association Des Liens.