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The Police

Reggatta de Blanc

par Jean Zobenbuhler

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Un certain nombre de bouleversements avaient déjà sensiblement remodelé mon champ émotionnel et affectif lors des mois et semaines qui précédèrent cet inoubliable autant que fondateur mois d’août 1980. Je venais d’acquérir l’album REGGATTA DE BLANC de [THE] POLICE, entérinant ainsi une nouvelle dévotion. Je n’étais cependant pas encore imprégné de la valeur iconique qu’allaient bientôt susciter en moi ces trois têtes blondes peroxydées, captées par l’œil avisé du photographe JAMES WEDGE, filtrant au passage l’ensemble par un subtil effet de clair-obscur.  Le petit électrophone blanc portatif que j’avais opportunément emporté en vacances, allait bientôt révéler les trésors contenus dans les entrailles de la pochette, qui pour l’heure semblait perdue, noyée dans l’immensité de la chambre de la maison familiale du Jura où je séjournais cet été là.

Mais c’est pourtant dans un tout autre décor, et bien en amont de cela, à l’automne 79 précisément, que survint une véritable lame de fond, façonnant définitivement le cadre des années lycée, balayant surtout mes préoccupations de toujours issues de l’enfance. Et de laisser ainsi le champ à de nouveaux horizons essentiellement politiques et musicaux, dans cet environnement suburbain, cette Essonne Rouge, viscéralement frondeuse et vindicative. Glorieuse époque, fiévreuse, débordante d’énergie, qui, déjà, semblait annoncer le crépuscule du pouvoir Giscardien. On sentait la volonté d’en découdre omniprésente, à l’instar de ces Teddy Boys qui parfois nous attendaient à la sortie, casques de moto vissés sur la tête, à dessein d’administrer à tout individu récalcitrant quelque coup de boule majestueux.

Il fallait bien alors prêter allégeance à EDDIE COCHRAN ou GENE VINCENT, sommés que nous étions. Certaines compromissions étant beaucoup plus acceptables dès lors qu’elles sont salvatrices. C’était également un temps où les radios qui n’étaient pas encore libres, diffusaient quotidiennement les nouveautés Rock sur leurs grandes ondes. Et c’est pour ainsi dire par effraction que le single « MESSAGE IN A BOTTLE » pénétra mon esprit, comme si d’emblée j’eus été saisi par l’urgence qu’imposait cette rythmique si particulière.

Il y eut certes au printemps qui suivit une résurgence de ce qui m’avait jusqu’alors animé, incarné par l’éclosion d’une nouvelle génération dorée de l’AJAX AMSTERDAM, conjuguée à l’avènement du flamboyant HAMBOURG de KEVIN KEEGAN, autre figure emblématique Liverpuldienne partie en quête de gloire dans la cité hanséatique. Mais l’impitoyable NOTTINGHAM FOREST de BRIAN CLOUGH, en laminant et les uns et les autres, solda définitivement le retour en grâce d’une certaine forme de romantisme footballistique. Or, au même moment, le single « WALKING ON THE MOON » commençait à envahir les ondes ; et ce fût là, un second coup de semonce, autant qu’un point de non-retour. A un âge ne laissant que peu de place aux concessions, il était en effet bien malaisé de concilier passion du Rock et du Foot… à moins d’être Britannique évidemment.

Comme chaque été, la principale perspective de réjouissance au village, se résumait à la course cycliste locale, à laquelle mon oncle participait assidument.  J’étais pour ma part, totalement accaparé par la jeune correspondante anglaise, en visite dans la région et dont la présence allait rapidement éveiller en moi de nouvelles appétences que la relation épistolaire avait jusque là occultées ; Ce qui m’amena sans tarder, et ce dans une posture aussi maladroite que Rohmerienne, à effleurer subrepticement le genou de la tentatrice, entrainant séance tenante la fin irrévocable de notre relation cordiale.

Contraint de fait à renoncer à mes rêves de conquête, je pouvais dès lors me consacrer exclusivement à l’écoute compulsive de l’album, observant conjointement les trois acolytes de la pochette, dont la structure capillaire ne manquait pas d’évoquer les Seventies à peine écoulées. Figures paradoxales à la blondeur angélique et néanmoins parées de l’attribut vestimentaire essentiel des mauvais garçons : le blouson noir. L’ensemble semblant acter une forme d’indétermination qui me convenait parfaitement.  Alors, selon un rituel quotidiennement renouvelé, j’enfourchais gaillardement ma Peugeot 103 SP bleu métallisé, objet-symbole de reconnaissance générationnelle autant que garant d’une certaine liberté. Et ainsi, je dévalais la rue principale du village, la tête emplie de l’euphorisant « REGGATTA DE BLANC » morceau éponyme, dont la boucle finale paraissait en parfaite harmonie avec l’interminable ligne droite menant jusqu’en lisière de forêt.

« CONTACT », et surtout l’entêtant « DEATHWISH » rythmaient également souvent l’escapade. Plus tard, à la nuit tombée, bercé par les douces effluves de foin émanant des champs avoisinant, le mélancolique « BRING ON THE NIGHT » et aussi « [THE] BED’S TOO BIG WITHOUT YOU » contribuaient à m’imprégner de la sensualité qui suintait tout autour de moi.

Ce bel été s’acheva pourtant brutalement l’avant dernier jour d’août, lorsque mon oncle s’effondra en pleine course de vélo, pour ne plus jamais se relever. Quelques jours plus tard, c’est la 103 SP qui disparaissait à tout jamais, dérobée dans le wagon SNCF qui l’acheminait en retour. Je ne sais ce qu’il est advenu du petit électrophone blanc. J’ai probablement longtemps estimé qu’il était vain de vouloir arracher certains objets à leur époque. Je l’imagine cependant reclus dans un quelconque débarras, condamné depuis quarante ans à subir l’indigente compagnie de quelque prie-dieu et autres bibelots en tout genre.

Toujours est-il qu’après quelques accointances « Acédéciennes » aux vertus éducatives, et surtout au gré de rencontres déterminantes qui suivirent, l’avenir allait être ostensiblement Punk.

Jean Zobenbuhler est organisateur de concerts pour des oeuvres carritatives.

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