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Kate Bush

The Dreaming

par Christine Rogala

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Kate Bush en gros plan, une clé posée sur la langue ; entre ses mains, le visage d’un homme enchaîné. L’évènement est à venir. La pochette m’invite à la fête. La suite n’est que musique.

J’ai treize ans, et une grosse grippe me cloue au lit pendant une semaine. C’est encore l’époque où virus est aussi synonyme de petit cadeau réconfortant. Une bd, un cd, du chocolat… qu’importe le flacon pourvu qu’on se sente mieux. Je demande deux cassettes pour les écouter dans le walkman que j’ai reçu l’année d’avant : Belinda Carlisles et Kate Bush. L’album de Belinda Carlisles, quel qu’il fut (en a-t-elle fait plusieurs ?) s’est presque immédiatement perdu dans le trou noir particulièrement vorace des années 80. L’album de Kate Bush est, encore aujourd’hui alors que je ne l’écoute presque plus, l’un de mes préférés.

The Dreaming. Chaque chanson est un voyage. Hautement exotique.

Il y a les toutes premières écoutes, quand le plaisir est là en puissance, en sourdine, tapi sous la nouveauté ; et la joie qu’il y a dans cette potentialité-là.

Chaque nouveau titre bouleverse le peu que je savais de la musique, défie ma capacité à accueillir les émotions. C’est ma révolution copernicienne.

Il y a donc un monde en dehors de Madonna.

Je me retrouve en orbite sur la planète Kate Bush, à fort pouvoir d’attraction.

Dans le flou moite de la fièvre qui m’étreint, je développe une addiction violente à sa voix chaude, douce, puissante, à son cri de cristal qui carillonne dans ma tête.

Kate Bush en gros plan, une clé posée sur sa langue. A l’époque, je ne comprends pas l’anglais, je ne connais pas Houdini et sur le petit format de la pochette de ma cassette, je ne vois pas la clé. Pour moi, c’est une bague. Pire : une alliance.

J’ai treize ans et je trouve ça terriblement romantique.

Il y a l’image énigmatique de Kate Bush, en princesse fougueuse donnant le baiser qui unit par l’anneau (ou qui libère par la clé !). Et il y a le son, tellement fou qu’il en devient transgressif. Entre les deux se tissent les hallucinations qui m’accompagnent dans l’entre-monde brûlant où me plonge le virus. Entre les deux, s’ouvre une faille clandestine où je m’engouffre d’un pas nu, franchi en catimini dans l’intimité de mes écouteurs.

C’est un souvenir horizontal, enveloppé par les harmonies complexes et évidentes de ma nouvelle héroïne. Je m’abandonne à sa sensualité. Le temps d’une face. Cinq titres. Le clac bruyant annonce la fin de la face et me sort de ma léthargie bienheureuse.

Attraper la cassette, la retourner, la caler à nouveau dans le baladeur et enfoncer la flèche, encore. Indéfiniment. Sans lassitude.

Et puis je guéris.

Ma relation à cet album, nouée dans une dimension parallèle, se rejoue la nuit, dans l’antichambre du sommeil.

J’ai treize ans et je suis insomniaque.

J’ai treize ans et toutes les nuits, Kate Bush me donne le baiser qui libère. Ses rêves viennent peupler les miens. Sa musique caresse mes tympans jusqu’à l’endormissement.

 

Christine Rogala est photographe et art-thérapeute.

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