The Sound
From The Lions Mouth
par Fabien Korbendau
Il y a bien longtemps, quand nous écoutions sans relâche certains groupes adulés, nous nous contentions de quelques photos (plus ou moins réalistes) qui figuraient sur des pochettes pour découvrir la tête de leurs membres (la presse rock pouvait y aider, aussi). Parfois, rien, pas une image. Ça conférait quoi qu’il en fût aux membres en question une sorte d’aura, nous étions condamnés au plaisir d’imaginer leurs incarnations.
Pouvions-nous nous douter que quelques décennies plus tard nous allions pouvoir les voir à rebours en chair et en os numériques, jouer, chanter, bouger, sans relâche non plus, et croire comprendre qu’ils ressemblaient finalement bien à ce que nous avions senti de leur “présence” ?
Sur cette « question » (et bien au-delà) je reste et resterai toujours dévoré par le disque From The Lions Mouth, chef-d’œuvre du groupe The Sound. Absorbé par le chant et la guitare terriblement inquiets d’Adrian Borland, la basse profonde de Graham Bailey, le clavier corrosif de Max Mayers, les battements pénétrants de Mike Dudley. Par cette musique grave et fiévreuse, sombre et ardente, tourmentée, brûlante, tannique. « Il sonne comme sorti de la gueule d’un lion » dira de l’album le doux Mike. Nous y sommes. La pochette.
L’huile de Briton Rivière « Daniel In The Lions Den » (Daniel Dans le Fosse aux Lions) « est » la pochette. Les noms du groupe et de l’album se font petits dans un coin pour laisser vivre le fascinant tableau, que l’exaltation adolescente a pour dernière priorité d’identifier, pas plus qu’elle ne peut le faire avec certitude pour les membres du groupe en vignette sur la sous-pochette (on pouvait quand même se douter que le mec au premier plan à droite était le chanteur, même si de nombreuses photos de groupes s’amusaient déjà à tordre la hiérarchie). Elle n’en a simplement pas envie, l’adolescence, d’identifier, elle est à la vibration, pas à la documentation (elle ne lit souvent même pas tout de la pochette, et a encore moins souvent la curiosité ou le réflexe d’aller regarder dans le dico familial qui est ce Briton Rivière (quel nom pourtant !! Pourquoi pas Rosbif River ??).
Devenus adultes, nous pouvons donc désormais à tout moment tout voir, tout savoir de ces musiciens fétichisés, de leur art, de leurs sources d’inspirations, de leurs amours esthétiques, de leurs façons de se mouvoir sur scène, de leurs coupes de cheveux successives… et nous ne nous en lassons pas. Précisément parce que ces albums que nous possédions adolescents auront pour nous et pour toujours un tour de stade d’avance sur tous les autres, innombrables, même les plus beaux. Ces albums qui possédaient nos adolescences, notamment par les promesses ô combien tenues de leurs incroyables pochettes, sont des morsures inguérissables (sommes-nous maintenant adultes, vraiment ?).
Fabien Korbendau (auteur de “De la vigne aux platines. Histoires d’accords rock & vin”)