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The Cure

Pornography

par Jean Henri Maisonneuve

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Un été d’août 1982, j’arpente les rues de Soho avec mon père. Il a souhaité passer quatre jours dans la capitale britannique avec son fils aîné. Il a quarante ans, moi quatorze. « Fourteen, fourty » dit en souriant l’employé du Tavistock Hotel où nous sommes descendus, choisi pour sa position centrale. Ah, London… La terre promise de tout ado féru de pop rock dans tous ses éclats…

A l’époque déjà ma collection part tous azimuts, de Pink Floyd à Madness, de Status Quo à Iron Maiden, des Sparks à The Police, d’Adam & The Ants à AC/DC… Le tout en cassettes, du commerce, ou celles que j’enregistrais dans des conditions rudimentaires en branchant des vieux câbles ou parfois en « direct » sur la bande FM, riche en émissions thématiques. Rendez-vous sacrés, sur le vieux tuner ou le walkman dernier cri qui fait radio, cadeau de communion, célébrés dans mon antre juvénile aux murs placardés de posters (merci Best, Rock & Folk).

En région parisienne, les fréquences pullulent ; je découvre ainsi de nombreux groupes, obscurs, connus. La musique est mon univers, et Londres son astre rayonnant. J’achète le NME, le Melody Maker. A un angle de rue, entre deux restaurants exotiques, un magasin de disques, qui me semble énorme, sur plusieurs niveaux. On entre, c’est l’heure du choix. Je jette vite mon dévolu sur un live au vinyle transparent de The Exploited, et le « 4 » de Foreigner. Puis je me souviens alors du choc lorsque Christophe Bourseiller, dans son émission du dimanche soir (de la nuit ?) diffusée sur Radio 7, mit sur la platine des extraits de « Pornography ». Ce fut tout un monde de possibilités en révolution sonore ! On pouvait donc offrir à la nuit et aux angoisses une soundtrack idéale. « Pornography », regard désabusé sur la vie, compositions nées sous substances aux allures de plaisirs interdits, charmes vénéneux ! La déflagration cold wave en une suite de huit titres, à la tension crescendo, qui tiennent en une cassette que je saisis aussitôt.

Trois visages flous, comme masqués, on dirait des âmes en flammes sombres, incandescence spectrale, aux dominantes rouges qui jaillissent d’un fond noir. En haut, « THE CURE PORNOGRAPHY » est inscrit, en lettres blanches, sobres, très verticales. Plus tard, la version double CD optera pour un lettrage rouge, plus discret et resserré : le visuel est devenu iconique.

Dans le train, puis le bateau qui nous ramènent en France, mon père se plaît à trouver de la poésie dans les paroles figurant dans le livret – richesse des textes inclus dans la pochette- offrant par là un petit moment de connivence, de rapprochement.

Climat nocturne, percussions électroniques, basse obsédante, claviers en nappes-linceuls, et cette voix à la limite de la plainte permanente… La bande-son des tourments éternels.  C’est une apnée dans l’obscur, la mélancolie paroxystique. On croirait l’album enregistré dans une chambre froide, ou mortuaire, par des spectres sous drogue ; ses échos si particuliers font naître à l’écoute une perception déformée de la réalité. On entre dans cet album comme dans un monument païen sacré, aux rites devenus immuables.

« Cold » et « Pornography » se muent en ite missa est définitifs et implacables. Smith, Gallup, Tolhurst en nouvelle Trinité. Découverts plus tard, Seventeen Seconds et Faith viendront former le triangle noir au centre duquel tout corbeau qui se respecte vient s’agenouiller avec une déférence immense, une gratitude soumise, une dévotion radicale. Je retrouverai plus tard des émotions similaires avec Closer ou Movement. Et je vivrai The head on the door comme une trahison. Ici, de « It doesn’t matter if we all die » à « I must fight this sickness, find a cure », des premiers mots aux derniers, cet album ne me quittera plus.

Bien plus tard, j’appris les raisons de ce voyage : mes parents me pensaient condamné à plus ou moins court terme par une atteinte neurologique rare. Mon père s’était dit qu’on n’avait rien vécu juste tous les deux. Que c’était peut-être la dernière occasion. Le diagnostic posé après mon retour indiqua que l’affection était d’une forme à évolution lente. Trente-huit ans plus tard, jour de la fête des pères, « I must fight this sickness, find a cure » prend un sens particulier, alors que mon père n’est plus, et que je suis toujours là. The Cure aussi.

Jean-Henri Maisonneuve  a été pigiste pour la presse musicale (Keyboards Magazine, Magic!, Soundkeys, RockSound, et divers fanzines). Il est également auteur de nouvelles, poèmes et romans, ainsi que ponctuellement critique d’art.

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