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The Beatles

Let it be

par Palem Candillier

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Un peu hipster avant l’heure, je m’étais mis dans la tête de trouver tous les vinyles des Beatles vers l’âge de 10 ans. Je crois que ma quête a commencé dans une brocante en tombant par hasard sur un album live lunaire sorti en 1977, « Live At The Hollywood Bowl » : un mixage affreux couvert de cris de fans stridents dans une pochette verdâtre marquée au tipex. Le tout allait valoir cinquante francs à mon père.

Si j’aimais déjà les Fab Four ? Ce sont mes plus lointains souvenirs, avec les dernières télés sans télécommande et la mort de Patrick Roy. Ma famille, british par vocation enseignante de ma mère, avait naturellement les premières éditions CD de Sgt. Pepper’s, Abbey Road et autres albums rouge et bleu. Ne comptons pas les innombrables K7 destinées à l’autoradio et encore moins les coffrets d’inédits Anthology qui sortaient à ce moment-là : bref, Liverpool était partie intégrante du foyer.

Donc j’étais converti. Mais toutes ces galettes-miroir dans leur boîtier en plastique fragile ne me donnaient pas l’impression de connaître vraiment mes idoles. Je ne pense pas que j’étais spécialement audiophile mais je ressentais un manque presque fétichiste à ne pas posséder leur musique dans sa forme d’origine. J’ai ainsi chassé le 33 tours, de dimanche en dimanche dans les patelins voisins. Mes parents ont consenti à remplacer leur platine vinyle morte rien que pour ça (et allez en trouver une chez Connexion en 1997).

Let It Be fut ainsi ma première trouvaille en solitaire, dans une braderie très proche dont je rentrai à pied. Dix francs, peut-être vingt, pas plus. Avant de la passer sur le tourne-disque tout neuf du salon, je me revois inspecter la pochette, allongé sur la moquette bleue de ma chambre – la fenêtre est ouverte et dehors c’est une journée d’été doux qui se termine.

J’examine ces quatre portraits, ces musiciens hirsutes en photos individuelles, séparés les uns des autres sur un fond noir funéraire. On dirait des photos in memoriam avec une épitaphe dramatique et religieuse, aussi : « Let It Be ».

L’avantage, c’est que sans rien savoir des Fabs, on devine qu’il s’est passé quelque chose. Où sont les beaux gendres de la Beatlemania, ceux des livres d’Histoire et des vieux dictionnaires illustrés ? Ah oui, ils sont sur l’autocollant promotionnel que l’ancien propriétaire a laissé sur le devant : « Les Beatles, 10 ans : YEAH YEAH YEAH ».

C’est attendrissant tellement c’est nul comme accroche pub, mais ça me fait comprendre que j’ai une réédition tardive dans les mains et pas un original dans son jus – pas grave je ferai comme si. Et puis, que ce soit devant ou derrière, chacun des mecs de Liverpool regarde dans une direction différente. C’est fou, pour un gang qui a conquis le monde. Le verso a beau affirmer « Ceci est l’album d’une nouvelle phase pour le groupe… », tout l’emballage crie le contraire.

Mais le plus troublant, c’est que Let It Be a beau être l’album de leur fin (pas enregistré mais sorti en dernier dans leur carrière), c’est pour moi l’album du début, le premier album des Beatles que j’aie écouté de bout en bout, et des milliers de fois. C’est peut-être même mon premier album tout court, le moment où j’ai senti que des artistes s’adressaient à moi avec une succession de compositions choisies, dans un certain ordre et avec une logique, un message – je comprendrai des années après à quel point ce LP a été sauvé du néant en fait, comme quoi les illusions sont plus fortes que le reste. Je me souviens d’avoir tout de suite aimé ces chansons bricolées avec parfois pas grand-chose. Même ce qui était plan-plan sonnait merveilleux et passait pour du génie à mes yeux. Les moments « moyens » ne mettaient que mieux en valeur les quelques monuments du disque, à commencer par l’éponyme prière-tube de McCartney et surtout, surtout « The Long And Winding Road », qui a encore aujourd’hui la capacité de me faire fondre en larmes.

Tout dans ce disque, et à commencer par son visuel, me murmurait des choses que je n’apprendrai que plus tard. Que cet objet bizarre, mi-plaque funéraire mi-miracle musical rock, pop et symphonique était aussi un documentaire vidéo dont les images vont encore résonner en 2021. Que sa nature allait être sans cesse revue, corrigée, de re-masterisations en versions dé-sacralisées Naked jusqu’à la prochaine énième réédition cinquantenaire que je vais être, bien malgré moi, forcé d’acheter parce qu’elle est inutile, donc essentielle. Let It Be me soufflait aussi que j’allais adorer non seulement écouter, jouer et enregistrer de la musique, mais aussi l’analyser et en noircir des pages, chose qui s’est prouvée récemment avec la sortie de mon livre sur un autre de leurs albums tordus, mal connus : The Beatles, son illustre grand frère double et immaculé.

Mais là où je suis le plus reconnaissant envers Let It Be, c’est qu’il m’a fait rentrer dans leur monde par une petite porte, par un passage accidenté qui m’a empêché de prendre trop au sérieux le quatuor, d’attendre qu’il signe systématiquement des hymnes et qu’il répudie le moindre écart de goût, le moindre aveu de simplicité. J’ai compris que je n’aimerai les artistes que quand ils seraient imparfaits et vulnérables, audacieux et maladroits. Ainsi soit-il.

Palem Candillier est l’auteur de “Nirvana – In Utero” et de  “The Beatles” aux éditions Densité. En parallèle de ses textes sur la musique pour différents médias, il sévit sur scène sous le pseudonyme de L’Ambulancier, dans le groupe de reprises Les Reines du Baal et en tant que guitariste de la chanteuse Sophie Le Cam.”

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