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Patti Smith

Horses

par Entourloupes

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Encore une fois, je croise son regard, et elle me toise, encore. On n’en ressort jamais totalement indemne.

J’ai souvent dit que Horses était le meilleur album jamais écrit. J’en tiens la pochette, le vinyle sort de son étui et glisse à mes pieds. Elle est un peu abimée, cornée en bas à gauche et tâchée en bas à droite. Comment ? Je ne m’en souviens pas, contrairement aux nuits passées à écouter cet album, comme on relirait régulièrement un livre qui nous révèlerait chaque fois quelque chose de neuf.

Aujourd’hui pourtant, je ne l’écouterai pas, je me contenterai de regarder cette pochette.

La dernière fois que je l’ai vraiment observée, elle s’avançait sur la scène de l’Olympia dans les mains de Patti Smith elle-même, qui réinterprétait tout l’album, 40 ans après sa sortie. Patti Smith tenant Patti Smith. Elle avait commencé par lire le texte écrit au dos, qui la présentait au monde entier : « Only histoire is responsible for the ultimate cannonizing… as for me i am truly totally ready to go… ».   Elle portait une veste noire sur un haut blanc, évidemment. De 28 à 68 ans, quelle différence ? Elle avait ensuite craché par terre, puis entamé le premier titre : « Gloria », bien sûr.

La première fois, j’y ai vu un défi. J’ai 18 ou 19 ans, peu importe, il doit être 11h, il fait déjà très chaud, et je pars de chez des amis après avoir dormi seulement quelques heures.

Je claque la porte et réveille sans doute tout le monde, puis je décide d’écouter un peu de musique en marchant dans les rues déjà sans ombres. Je passe la main dans le fond de mon sac pour trouver ce disque que j’ai emprunté je ne sais même plus où, et je le mets dans mon tout nouveau baladeur : fini le walkman cassette, c’est l’heure du baladeur CD ! Je n’ai pas encore le vinyle, il me sera offert bien plus tard… En vieillissant, la taille du disque et de la pochette a augmenté. J’ouvre le boîtier, mets le CD dans le baladeur, visse les écouteurs dans mes oreilles, appuie sur Lecture. 3, 2, 1… tout l’appareil commence à vibrer entre mes mains. Ça vibre tellement que le CD saute quand je marche – ce n’est pas pratique du tout en fait –, alors je décide de m’asseoir sur un petit muret pour écouter tranquillement. Je ne ressemble pas à grand-chose sur ce muret – sinon peut-être à un vagabond, et cela me va très bien.

Dès les premières secondes, il se passe quelque chose. Quelques notes de piano, puis ces premiers mots, d’une voix grave : « Jesus died for somebody’s sins but not mine ». Je n’avais jusque-là jamais éprouvé cette culpabilité toute catholique, je ne savais sans doute même pas trop de quoi il s’agissait, mais il se passait quelque chose, comme avec un produit antiseptique qui n’est désagréable que si vous en avez besoin. « Not mine », je me répétais en boucle. Au fond, je le savais déjà, mais je m’enorgueillissais de partager cette pensée avec quelqu’un : « My sins my own / They belong to me ». Et elle répète : « Me ». Et moi d’ajouter : « Me ». Et ça continue : « People say ‘beware !’ / But I don’t care / The words are just / Rules and regulations to me, me »…

Peut-on vraiment s’émanciper en écoutant de la musique et des mots écrits plusieurs décennies plus tôt ? Le titre ne cessera d’accélérer. Pas. Trot. Galop. Le pied à peine à l’étrier, on quitte la rampe de lancement, c’était l’échauffement, il n’y a plus qu’à lâcher prise et se laisser aller. Qu’on y prenne garde, on pourrait finir par danser sur le refrain, quand, à la manière d’une majorette punk, elle épelle les lettres G L O R I A. Je vous assure que ça peut finir par une danse. C’est déjà arrivé, et il n’est pas exclu que cela se reproduise.

Saisi par ce qui arrive à mes oreilles, je repasse la main dans le fond de mon sac pour retrouver la pochette. Aussitôt – comment avais-je fait pour ne pas le remarquer avant ? – je suis frappé par ce regard acéré. Patti Smith – j’imagine que c’est elle – est impériale : son aplomb ressemble presque à de l’arrogance, je penche la photo pour voir si c’est un effet de contre-plongée. Même pas : son charisme suffit. Cheveux noirs coupés assez courts et ébouriffés, plus courts que les miens à ce moment-là, chemise blanche négligemment rentrée dans le pantalon, et une cravate, sans doute, défaite autour du cou.

J’ai mis du temps à trouver un mot pour décrire ce regard : elle me toise. Elle me toise, du haut de ses 28 ans. Je ne savais pas encore qu’elle avait 28 ans, et d’ailleurs, j’avais bien moins qu’elle, mais si elle me toisait, c’est qu’elle me lançait un défi : « Alors, où en seras-tu dans 10 ans ? ».   Que peut-elle dire d’autre ? « Eh ouais ! j’ai passé les 27 ans » ? Tant pis pour le club des 27, alors – de toute façon, moi aussi aujourd’hui, j’ai raté le coche.

Seul sur mon muret à ce moment, je ne savais pas grand-chose, et je m’en foutais pas mal…

J’ai découvert plus tard que cette pochette était célèbre pour le côté androgyne de la chanteuse : j’ai mis du temps à le comprendre, car moi je n’y voyais qu’une femme intimidante.

Je ne savais pas que cette photo était de Robert Mapplethorpe, et quand bien même je l’aurais su, je ne savais pas qui c’était.

Je ne savais pas non plus que je verrai un jour cette même photographie exposée au Grand Palais, à Paris, dans une rétrospective consacrée au photographe, et que j’en serais ému, comme sommé de faire le point sur moi-même face à ce regard contempteur qui me toisait encore des années plus tard. « Tu t’approches, où en es-tu maintenant ? »  J’avais fini par baisser les yeux.

Je ne savais pas encore comment s’était déroulée la séance avec Robert Mapplethorpe, qui avait pris une douzaine de photos mais avait aussitôt su que celle-ci était la bonne – une fulgurance.

Je ne savais pas non plus que le mur blanc derrière elle était celui de l’appartement d’un collectionneur d’art ami de Mapplethorpe, situé dans Greenwich Village à New York. L’appartement était vide et peint en blanc. Ils y sont arrivés précipitamment, avec les vêtements achetés dans un magasin de l’Armée du Salut, et comme Robert Mapplethorpe voulait profiter de la lumière incroyable qui inondait la pièce à ce moment précis, Patti Smith ne s’est pas recoiffée et s’est aussitôt mise à poser nonchalamment, sa veste sur l’épaule.

Je ne savais rien de tout cela, ni même que je l’apprendrai en lisant Just Kids dans des wagons de nuit menant je-ne-sais-où. « I had my look in mind. He had his light in mind. That is all. » Les paysages défilaient par la fenêtre du train, qui la nuit tombée ne me présentait plus que mon reflet éclairé par la lumière du train. « When I look at it now, I never see me. I see us. »  

Je ne savais pas que je commençais à écouter un album qu’on considère aujourd’hui comme le premier album punk, bien avant The Clash, The Ramones, The Sex Pistols et tous les autres. Je crois que je ne savais même pas ce que punk signifiait vraiment.

Je ne savais pas non plus que parfois, des amis mettraient ce disque uniquement pour me faire plaisir.

J’ai sans doute trop souvent dit que Horses était le meilleur album jamais écrit.

Ce jour-là sur mon muret, je ne fais pas attention au mur blanc derrière elle, qui accueille son ombre légère et donne une profondeur au portrait. À bien y regarder, le mur n’existe que grâce à l’ombre portée sur lui. Aujourd’hui, ce mur blanc, je le vois comme un mur encore vierge. « Just a sea of possibilities ».

Toujours assis au bord de la route à regarder cette pochette, j’y vois soudain une autostoppeuse. Cela m’arrivait souvent, à l’époque, de faire du stop, alors je n’allais pas chercher beaucoup plus loin. Il y a effectivement dans la gestuelle quelque chose de l’autostoppeuse qui n’a pas peur d’affronter la route et ses aventures. Je remplace dans ma tête le fond blanc par de grandes routes enivrantes, sans penser aux gueules de bois et aux culs-de-sac, inévitables.

Je me dis que cette autostoppeuse a une tenue d’une incroyable élégance. En fait, j’y vois le portrait d’Arthur Rimbaud par Etienne Carjat. Oui, voilà, ce serait Rimbaud quelques années plus tard, qui aurait sorti ses poings de ses poches crevées, et qui cesserait de regarder au loin pour désormais fixer ses yeux dans les nôtres, sans détour, sans plus rêver de s’évader.

Plus tard, j’apprendrai que je n’avais pas tout à fait tort : l’album aurait dû paraître le 20 octobre 1975, date anniversaire de la naissance de Rimbaud, puis était finalement sorti le 10 novembre, date anniversaire de sa mort… Plus tard encore, j’apprendrai que j’avais quand même tort, puisqu’elle avait en fait voulu mêler la tenue et l’attitude de Charles Baudelaire et de Franck Sinatra, dans la manière de tenir sa veste sur l’épaule – ce qui ne manque pas de panache non plus. Anna Karina dans un film de Jean-Luc Godard ? Non, je n’y pensais pas encore. Jean Genet photographié par Brassaï ? Encore moins, et pourtant il est bien là, aussi. Aucune de ces références ne semble aller ensemble, et pourtant tout est là, et cela commence à en faire, du monde, sur cette pochette, devant ce mur blanc.

Quelque chose de plus profond commence à me trotter dans la tête à ce moment-là : « Combien d’humiliations faut-il avoir connu pour avoir ce regard ? Combien de fois faut-il s’être relevé pour avoir ce regard, dédaigneux et fier ? ». Ces deux questions ne me quitteront plus.

Je retourne la pochette, et je regarde la liste des titres. Il y en a 8. Il n’y a pas les paroles, ce qui ne me facilite pas la tâche. Je ne connais aucun des noms inscrits, ni Richard Sohl, ni Lenny Kaye, ni Ivan Kral, ni Jay Dee Daugherty – ni même le producteur de l’album, John Cale – même si je connaissais déjà le Velvet Underground, je crois. Le nom du studio, Electric Lady Studio, ne m’évoque rien.

Faute de paroles je me contente, en regardant la liste des 8 titres, d’attraper quelques mots comme au lasso, pendant que mes cheveux s’emmêlent dans mes écouteurs et que le CD continue de faire vibrer le baladeur. « Gloria ». « Redondo Beach ». « Birdland ». 9 minutes 14. Ce cri du petit garçon, à vous broyer le cœur : « It’s me, it’s me, / I’ll give you my eyes, take me up, oh now please take me up, / I’m helium raven waitin’ for you, please take me up, / Don’t leave me here! ». Puis cette fin, sublime : « And he crawled on his back and he went up / Up up up up up up / Sha da do wop, da shaman do way, sha da do wop, da shaman do way ». Trouver une langue.

Tout s’est élevé à la fin de la chanson, et moi je suis à terre : jamais je n’avais entendu quelque chose comme ça – et cette façon de placer les mots… De l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. « Free Money ». « Every night before I rest my head / See those dollar bills go swirling ‘round my bed / I know they’re stolen, but I don’t feel bad / I take that money, buy you things you never had ». Pour qui ? Je ne sais pas, mais ça me plait. J’en ai le droit. J’accepte cette rage, et j’en suis certain : nous ferons un bout de chemin ensemble. « Kimberly ». « Break It Up », un rêve avec Jim Morrison. « Land ». 9 minutes 25, 1069 mots d’une langue nouvelle, qu’il me faudra des années à assimiler. Trois titres en un. La rage, encore, devenue poésie, et énergie.

Land. La terre, le territoire nouveau qui vient d’apparaître. Je pense à André Breton, grand découvreur du continent surréaliste. Il y avait encore beaucoup à explorer, mais déjà ces nouvelles contrées m’enchantaient. L’odyssée de Johnny, d’humiliation en humiliation. « The boy looked at Johnny, Johnny wanted to run », puis « The boy took Johnny, he pushed him against the locker, / He drove it in, he drove it home, he drove it deep in Johnny / The boy disappeared, Johnny fell on his knees, / Started crashing his head against the locker », répété rageusement, encore et encore.

Puis soudain : « When suddenly Johnny gets the feeling he’s being surrounded by / Horses, horses, horses, horses / Coming in in all directions / White shining, silver studs with their nose in flames, / He saw horses, horses, horses, horses… ». Je ne me remettrai jamais de ce passage, de l’intensité de cette répétition, du rythme haletant de la diction. Cut. Burroughs. « Do you know how to twist? » Clairement. Ensuite, d’autres mots glanés à la volée : « Life is filled with holes, Johnny’s laying there, in his sperm coffin ». Jamais je n’avais entendu ça, et je n’arrivais plus à m’en défaire : « You got pen knives and jack knives and / Switchblades preferred, switchblades preferred / Then he cries, then he screams, saying / Life is full of pain, I’m cruisin’ through my brain / And I fill my nose with snow and go Rimbaud, / Go Rimbaud, go Rimbaud » … Le voilà, Rimbaud, j’avais bien raison de le voir se relever sur la pochette. Puis une nouvelle terre : « Up there – there is a sea / The sea’s the possibility ». La mort de Jimi Hendrix, aussi, mais là encore je ne le savais pas. « Elegie ». Retour au calme. Solitude. « I just don’t know what to do tonight / My head is aching as I drink and breathe / Memory falls like cream in my bones, moving on my own ». Je suis terrassé : « Trumpets, violins, I hear them in the distance ». Ces mots allaient devenir un vers rassurant, un compagnon.

Toujours au dos de la pochette, on peut aussi lire un texte, accumulant des groupes de mots que je ne comprenais pas trop. Je me disais qu’ils devaient déceler une forme de mystère, que je mettrais des années à percer. Je m’arrête sur la fin, limpide : « charms, sweet angels – you have made me no longer afraid of death ». Quelque chose m’interpelle aujourd’hui en relisant ces mots. Je ne crois pas aux anges, mais j’aurais pu écrire ces mêmes mots en les lui adressant : « Patti, you have made me no longer afraid of death ». Vivre. Plus que jamais j’avais envie de vivre. Et que ce soit intense.

En dessous de ce texte, la signature manuscrite de Patti Smith, plate, rapide, dans l’urgence. Tiens, et là, tout en bas, en français : de l’âme pour l’âme. Je n’étais pas si loin.

L’album terminé, j’étais toujours sur mon muret et il restait quelques éléments qui m’intriguaient sur la pochette.

D’abord, j’avais très envie de savoir ce qu’elle portait comme chaussures – mais c’était impossible. J’imaginais de grosses chaussures en cuir – des boots of spanish leather, évidemment, même si je ne connaissais pas encore ce titre de Bob Dylan.

Ensuite, je me demandais surtout pourquoi l’album s’appelait « Horses ». Pourquoi des chevaux ? Je sais, parce que Johnny est « surrounded by horses, horses, horses, horses », mais cela ne répondait pas à la question. Ce n’est qu’aujourd’hui, en regardant attentivement cette pochette, que je découvre qu’elle porte une broche en forme de cheval. Cela ne me convainc pas du tout, et je préfère mes autres hypothèses, nourries pendant des années. À force de m’accrocher aux seuls mots que je comprenais, est sans doute née une forme d’impressionnisme involontaire : ce que je ne comprends pas je l’imagine, et cela me va très bien.

Bref, voici mes deux meilleures hypothèses. La première convoque Jackson Pollock et Pablo Picasso. C’est une histoire qu’elle raconte, et peu m’importe de savoir si elle est vraie : Pollock regarde un livre des tableaux célèbres de Picasso puis s’exclame, agacé et abattu, que Picasso a déjà tout fait… Pollock décide alors de prendre les quelques gouttes de la bave s’écoulant du cheval de Guernica, pour en faire un nouveau langage : le sien. Les chevaux, ce serait l’invention géniale de celui qui sait observer, la solution quand vous êtes face à un mur, mais que vous avez l’oeil.

La deuxième convoque les chevaux que chante PJ Harvey dans « Horses in my dreams », d’autant plus qu’elle ajoute « Like waves, like the sea ». The sea… of possibilities ? Je sais que ce titre a été écrit après, mais je ne vois pas ce que cela change…

J’ai souvent dit que Horses était le meilleur album jamais écrit. C’est un album que je me récite quand je m’ennuie, même sans l’écouter.

… Je finis par me lever de mon muret et je repars. Je prends un bus – les chevaux attendront. Je remets le disque, encore, et je continue d’attraper d’autres mots. Le mur blanc de la pochette, soudain, c’est la page encore blanche des carnets que je voudrais aussitôt griffonner après avoir écouté le disque – ces carnets que l’on griffonne sans cesse, inlassablement, qui tiennent compagnie, et qui lient l’écriture à la vie. « Mais alors il faut vivre ! », me crie une voix dans ma tête. Je suis sûr que Patti Smith doit avoir un de ces carnets quelque part sur elle, peut-être dans une poche de la veste qu’elle tient sur l’épaule. Elle ne peut pas ne pas en avoir. En la regardant, je me disais qu’il me fallait moi aussi faire quelque chose de ces carnets griffonnés, gribouillés et qui trainent dans le fond des poches trop grandes et des sacs trop profonds.

Peut-être aussi allait-il falloir que je me mette à les griffonner, ou peut-être même que j’en mette dans le fond de mes poches. Qu’y avait-il dans mes poches ce jour-là ? Des pages blanches qui résistaient et se retrouveraient englouties un jour, avant d’être jetées le lendemain ? Je ne m’en souviens plus, mais je sais que je rêvais de cracher des textes gribouillés sur le son déchaîné de guitares électriques.

Aujourd’hui, je remets méticuleusement le disque tombé dans sa pochette abîmée. Je le réécouterai plus tard. Que peut encore me dire ce regard ? Il n’y a pas grand monde que je laisserais me toiser comme ça, mais étrangement, je me laisse faire, et je n’ai rien de plus à dire. Si, peut-être : « If I was a blind mand / Would you see for me? / Or would you confuse the nature of my blues / And refuse a hand to me? ». Ces mots qui me viennent en tête, ce ne sont même pas les miens. Ce sont les siens. C’est d’elle, d’elle et d’elle encore, même si elle ne les a pas encore écrits au moment de poser sur cette photo.

Je fais comme si tous ces souvenirs étaient bien clairs et organisés dans ma tête, alors qu’en réalité ils se chevauchent l’un l’autre, spontanément, comme les références accumulées sur la pochette. « Combien d’humiliations faut-il avoir connu pour avoir ce regard ? Combien de fois faut-il s’être relevé pour avoir ce regard, dédaigneux et fier ? ». Ces deux questions aussi me reviennent en tête. Au fond j’ai hâte de le recroiser, ce regard qui, soudain, me paraît finalement assez candide. Dans combien de temps ? Qu’est-ce qui aura encore changé ? Cela aussi je l’ignore.

Si sur cette pochette, je me plais encore à imaginer Patti Smith en train de faire du stop, même si c’est devant un mur blanc, je me dis que ce serait pourtant une bien étrange autostoppeuse : à peine à bord, elle prendrait le volant en prétendant conduire vers les terres annoncées (Baudelaire, Rimbaud et les autres), pour finalement partir vers des contrées nouvelles, inédites, vers des rencontres qui les unes après les autres me bouleverseront : on y croiserait Allen Ginsberg, William Burroughs et toute la Beat Generation, mais aussi William Blake, et tant d’autres, qu’elle a mis sur ma route.

D’ailleurs, lors de ma première rencontre avec elle – Salle Pleyel, janvier 2011 – elle rendait hommage à Allen Ginsberg, accompagnée par Philip Glass. Je crois que je portais moi-même un pantalon noir et une chemise blanche trop grande, sous une veste noire, chinée dans une friperie – et je n’avais pas pensé à Frank Sinatra en la trouvant. La suivante ? Un concert à la cathédrale de Bourges, deux ans plus tard, sans aucun titre de Horses. Pourquoi ? je n’en ai pas la moindre idée. Sans doute n’y étais-je toujours pas prêt. Il allait me falloir attendre encore quelques années pour la voir jouer carrément tout Horses 40 ans après sa sortie, en 2015, sur la scène de l’Olympia. Et la pochette de s’avancer, d’abord. « Gloria ». « Jesus died for somebody’s sins but not mine » …

On ne va jamais exactement où l’on croyait se rendre avec ce disque. Si elle était une autostoppeuse, elle ne vous laisserait jamais suivre votre route : elle vous conduirait vers une chevauchée sauvage entre vagabonds.

J’ai souvent dit que Horses était le meilleur album jamais écrit. Je ne le dis plus. C’est évident après tout, non ?

 

Entourloupes est une revue indépendante de création littéraire, un road trip fictif où “tout est vrai” dans lequel nous imaginons les rencontres avec les artistes de tous horizons que nous pourrions faire sur notre route… Dans Entourloupes on lit, on écoute de la musique, on boit du bon café aussi, on prend des photos, et surtout on roule, on roule, tant qu’on peut, la machine à écrire sur les genoux…

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