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New Order

Power, Corruption & Lies

Marc Besse

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C’était un des rituels des samedis après-midi avec ma grand-mère, au moment des beaux jours. Elle chaussait ses gants, s’armait de sécateurs et nous partions à la cueillette des roses écloses dans le jardin de sa maison, à quelques kilomètres de Toulouse. Elle composait ses bouquets au gré des roses recueillies : des « Fée des neiges », des « Pierre de Ronsard », des Ghislaine de Féligonde, des « Trémières ».

Ma mission consistait à reconnaître leurs parfums avant de les déposer dans mon panier. Le soir, j’ai longtemps vécu avec leurs fragrances et la trouille des abeilles qui va avec. A dix ans, on a vite peur.

Quatre ans plus tard, les roses avaient perdu de leur importance pendant les week-ends. Les filles et la musique les avaient remplacées. Une chanson tournait en boucle depuis deux ou trois mois sur la platine familiale : Blue Monday de New Order, et déjà, la rumeur annonçait la sortie imminente d’un album complet du groupe de Manchester. Promesse tenue en mai 1983 quand un samedi, le vendeur de la FNAC m’indiqua le disque en question : « Power, Corruption and Lies ». J’aurais bien eu du mal à le trouver seul, il n’y avait aucune indication sur la pochette. Juste un bouquet de roses…

A l’écoute de cette électro-strobo-futuristique débarrassée de la quincaillerie pop, cette invention sonore improbable qui télescope new wave clinique et basses aventurières, onirisme discret et élégance mélancoliquo-mélodique, un lien secret se tissait doucement entre le souvenir d’enfance et la furieuse sensation de changer d’époque, de corps, de statut, de pensée. Mais comment des roses à peine coupées pouvaient-elles jouer une telle musique, troquer leur parfum de fraîcheur contre une brume psychédélique et l’odeur âcre d’un dance-floor suant ?

Avantage du journaliste : pouvoir deviser avec l’auteur de la pochette, l’homo-graphicus de Factory Records, Peter Saville. En parfait anglais, il a pointé la délicatesse de l’anecdote :

« Le titre du disque était machiavélien, j’ai eu donc comme première idée de chercher l’inspiration dans l’art de la Renaissance et ses portraits de « Princes noirs ». Je suis allé à la National Gallery d’où j’ai ramené des dizaines de cartes postales. Je les ai compulsées avec ma petite amie de l’époque qui m’a regardé bizarrement lorsque je lui ai montrée une reproduction du Panier de Roses d’Henri Fantin-Latour en lui disant : « Tu ne verrais pas plutôt ceci pour la pochette du disque ? ».

L’idée était magnifique, complètement en phase avec le titre du disque si on considère que les fleurs ont un langage qui peut tout aussi bien être celui de l’amour comme celui de la puissance, de la corruption ou du mensonge : elles sont la séduction même !

Tony Wilson (le big boss de Factory) a appelé le directeur de la National Gallery pour obtenir la permission d’utiliser l’image. Il a d’abord essuyé un refus au prétexte que cette œuvre appartenait au peuple britannique.

Ce à quoi Tony a rétorqué : « Je crois que le peuple le demande ».

Et le directeur de répondre : « Si vous le présentez ainsi, je suis sûr que nous pouvons faire une exception. »

Depuis, les roses n’ont plus le même arôme dans mon esprit, et elles ont aussi un son.

Marc Besse a été chroniqueur aux Inrockuptibles. Il est également l’auteur de Bashung(s) une vie, Bjork, Noir Désir /Point Final, Dessous de Songs

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