Michel Sardou
La Maladie d'Amour
Alain Terzian
L’album s’appelle La Maladie d’Amour. Tu parles d’une merde.
Sortie 5 ans plus tôt, cette machine à tubes avait été conconctée par Devaux et Delanoë, pour un interprète dont je vomissais les grosses machines à danser et les idées populos bien à droite, voire un peu plus loin : Michel Sardou.
Comme la musique, la pochette était bien à chier : Recto, la tronche en gros plan du chanteur avalant presque son micro cornet glace et verso, rien : la liste des titres, sur vague fond de scène de concert.
Ce printemps là, Jacques avait réussi à récupérer quelques instruments pour monter un groupe. Les 3 accords que je plaquais sur ma guitare sèche lui suffit pour me désigner bassiste. Le plus doué était Christian, le chanteur, capable de pousser sans fausses notes et avec les harmonies, la totalité de Bohemian Rhapsody. On s’entrainait sur les Stones, Bowie ou des nouveaux groupes français comme Bijou et Starshooter.
Un jour, Jacques arrive avec l’album de Sardou. Il nous explique que cet album contient une pépite rock, jamais reprise par aucun groupe, et qu’on va être les premiers à le faire. Du Rock ? Sardou ?
“Les paroles, sont des rafales de mitraillette prémonitoires”, nous dit-il. “Et les arrangements, je vous dit pas…” Et il ne dit rien.
Il pose le diamant et observe nos mines médusées. Effectivement, ça commence très fort avec un riff de guitare bien rock appuyé par une ligne de basse sombre, impeccable. Tranquille, Sardou entame son chant : « Dans les villes de grande solitude… ». Putain !, bien sûr qu’on la connait celle là, comment l’éviter, entre les Marithie et Gilbert Carpentier et les radios pas encore libres?
Soudain au loin, l’armée de violons cadencés commence à se lever, avant de balancer ses walkiries. Du pur son de Detroit. Jacques arrête la platine, et nous demande d’écouter vraiment, en oubliant que c’est du Sardou.
Et la magie opéra.
Il faut se laisser emporter par le morceau qui raconte la vie d’un minable qui se rêve surpuissant dès que l’alcool fait son effet. Les paroles ne font pas dans la dentelle. « L’envie de me faire une banque, de me crucifier le caissier », ou « foncer dans le premier sens interdit », « l’envie de violer les femmes, de les forcer à m’admirer ». Tout cela avait crée une polémique pour incitation à la violence. Sardou s’était défendu en expliquant que c’était juste les fantasmes d’un homme aliéné dans les frustations de la modernité. Mais sa conclusion du personnage, qui finalement rentre dans le rang avec « c’est vrai que je ne casse rien », n’avait pas empêché les patrons de chaînes de le blacklister pendant un temps.
Dès la troisième écoute, on était conquis. C’était du Sam Pekinpah, du « Au dessus du volcan », du Blier dans Les Valseuses, du pur punk, et personne en France n’avait osé chanter ça.
Pour l’orchestraion et les arrangements, ils avaient fait venir les requins de studio, l’indéboulonnable Pierre Billon et Christian Padovan, des Martin Circus. Rien à envier aux studios d’outre Atlantique. Eux ne s’embarrassaient pas des préjugés sur nos chansons populaires. Là, il y avait un sacré bon morceau, et ils allaient lui mettre sa race. Métronomiques, carrés, à la ricaine. Rien que la piste des violons est un grand moment. Ça ne quitte jamais le titre, comme une sirène de police permanente et mélodieuse, accompagnant la voix dans les hauteurs, s’adoussissant dans le retour à la réalité du personnage pour l’encourager bien sagement à ne pas s’éloigner de son métro, de son boulot et son dodo.
Bien proprement jusqu’à la retraite.
Cette revendication me captivait. On avait bien eu Balavoine qui chantait « Quand on arrive en ville ». Mais c’était juste des histoires d’ados un peu voyous qui allaient vivre jeune et mourir vite. Là, avec Les Villes de Grandes Solitude, on touchait à l’interdit, on parlait avec une lucidité éblouissante de ces salarymen que nous allions devenir, pétris de frustrations entre nos libertés qui allaient commencer à s’émousser, et la tonne de nos crédits à la consommation. Une cocotte minute qui pouvait exploser. C’était d’une limpidité absolue, mais à l’époque personne ne voulait percevoir cette dimension prémonitoire.
Dans notre local de répèt, Christian commençait à noter les paroles qu’il avait retenues, et nous, avec nos instruments, on essayait de retrouver la sonorité du morceau. C’était fastidieux. Avec son chant précis et mélodieux, Christian parvenait à nous maintenir hors de l’eau, mais nous étions déjà noyé.
L’aventure du groupe tourna court, l’été venant, avec nos chemins qui allaient bientôt nous séparer.
Le reste de l’album de Sardou est parti dans la poubelle de nos mémoires. Pourtant aujourd’hui, j’entonne encore ces Grandes Villes. J’attends avec impatience sa reprise par un de ces petits groupes qui recommencent à se chauffer au vrai rock, et qui oseront. Quant à Sardou, qu’il me pardonne d’être, dans ces années là, passé à côté de pas mal de ses morceaux, car franchement, y’a beaucoup de merdes, mais pas que.
Alain Terzian est concepteur rédacteur. Il partage partis pris et sentiments éclectiques sur @auteursetsentiments.