Cat Power
What Would The Community Think
Luco Pax
Cat Power / What Would The Community Think
Chaque rencontre importante de nos vies fixe à la fois dans notre mémoire une personne, un lieu, une saison, une météorologie. Un état de grâce passager auquel personne ne peut échapper. Il en va de même pour certaines oeuvres majeures à nos palpitants, dont on ne saurait se défaire. Oui, les grandes premières fois ont ce goût particulier, sans égal, d’éternité. Je parle de ces moments où nous parviennent sans les chercher des réponses à des questions que l’on n’osait pas encore se poser. Je parle de cette sorte d’évidence qui nous arrive par miracle et surprise, tel un sentiment amoureux.
Je me souviens avoir acheté le cd de What Would The Community Think à Marseille (où je séjournais chez des amis) au printemps 1997. Par un joli jour de mai, à la Fnac. Le collage à la va-vite de la pochette m’inspirait vaguement une forme d’art brut que j’espérais retrouver à l’écoute des chansons. Surtout, Steve Shelley de Sonic Youth tenait la batterie et produisait le disque (sorti chez Matador), qui contenait une reprise de Smog (Bathysphere) et une autre de Peter Jefferies (Fate Of The Human Cabin). Le genre de références qui m’assurait de passer un agréable moment par cet agréable après-midi. Mais c’était sans compter sur Chan Marshall. Car, au risque d’enfoncer une porte ouverte (aujourd’hui), il ne faut pas compter sur Cat Power pour passer “un agréable moment”. Il ne faut pas pas compter sur Cat Power pour cajoler ses potentielles ouailles biberonnées à l’indie-rock. Il ne faut pas compter sur Cat Power. Voilà le prix à payer. Ici, point de colère feinte. Cette fille vit, chante, joue et pleure son blues comme les plus amochés, à Chicago, il y a un bail. Impossible d’y résister, de s’en protéger. A commencer par elle, Chan Marshall n’épargne personne. L’aimer, c’est quelque part faire preuve de masochisme. Dont acte. Allons gratter ensemble nos plaies. Parlons de ce chagrin-là, de ces larmes qui coulent inexpliquées – comme dirait l’autre.
Je ne sais pas si Cat Power/Chan Marshall va mieux aujourd’hui. Il semble que oui. C’est tout le mal que je lui souhaite. Je n’écoute plus vraiment ses autres disques. J’ai probablement tort. Tort de revenir inlassablement à ce disque où elle salue la patience de ses musiciens, à cette magnifique photo floue du livret où l’on voit ses doigts sur son antique Silvertone, à côté de ses pompes. Tort de me rouler dans cette peine qui, allez comprendre, me fait tant de bien.
Graphiste et chroniqueur de Magic RPM au siècle dernier, Renaud Paulik explore à ses heures perdues une certaine fragilité musicale sur scène et sur disque aux côtés de Lisa Balavoine, sous le nom de Luco Pax.