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The Stooges

Funhouse

par Patrick Foulhoux

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Nourri au rock dès l’âge de 11 ans par des étudiants soixante-huitards aux cheveux longs, lunettes rondes, pataugas, vestes côtelées, Les chemins de Katmandou de Barjavel en poche, j’étais rompu à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le classic rock. Deep Purple, Who, Status Quo, Pink Floyd, Hendrix, Genesis, Yes, Doors, Led Zeppelin et autres fruits défendus. Né dans une famille absolument pas mélomane si ce n’est ma mère qui possédait quelques disques de variétés, la découverte du rock a été un choc, une révélation, une lumière, le laissez-passer pour le monde des grands et une vie rêvée. Je voulais faire ça comme métier plus tard, rock.

Minot, on éponge tout ce qui passe à portée, sans discernement.

Puis le punk arriva et balaya tout sur son passage. La presse magazine nous tenait informés de tout ce qui provenait de Londres et de New York. On commençait à découvrir les premiers groupes français réputés “punks”. À partir de 1977 en France, on était tous à écouter ce nouveau genre musical, un juste retour aux origines du rock. Perso, ça me distrayait plus que ça ne me passionnait. J’étais au collège, les Sex Pistols étaient prétexte à se marrer après les cours, prétexte à faire les cons, à apprendre à danser le pogo, à faire les armoires des parents pour trouver des fringues “punk compatibles”. Puis The Clash est arrivé. Eux n’étaient pas là pour faire les pitres. Ils tenaient un discours qui résonnait en moi avec un style musical qui dépassait le strict cadre du punk tel qu’on nous le présentait alors. Le Clash était politique, militant, à gauche toute. Grâce au Clash, j’ai beaucoup lu sur le punk. Plus lu qu’écouté d’ailleurs. Je pouvais voler Best et Rock&Folk sans risque, il m’était plus difficile de chourer des disques. Je n’étais pas très dégourdi faut bien dire.

Je m’enivrais de toute cette littérature ayant attrait au punk. On en causait même dans la presse quotidienne régionale, bien plus souvent dans les pages faits divers d’ailleurs que dans les pages culture. Dans les interviews, un nom revenait constamment dans les propos des protagonistes, les Stooges. De nombreux groupes s’en référaient. Tout du moins, ceux qui me plaisaient le plus. À force, il a bien fallu écouter. J’ai acheté Funhouse chez un petit disquaire de campagne. Ce devait être en 1978 ou 79. J’ai posé le vinyle sur l’électrophone familial et là, incompréhension totale. Le toit du rock venait de me tomber sur la tête par Toutatis. Quel bordel ! Un magma sonique. Une mélasse de bruit et de fureur. Impossible de contenir ce chien de l’enfer qui mordait les mollets à chaque coup de médiator et faisait l’effet de prendre une clôture électrique à pleines mains à chaque accord. Un couplet, une châtaigne. Un refrain, une électrocution. Ça hurlait, ça dégueulait, ça suintait, ça schlinguait le fauve, la bête sauvage, le gibier de potence. J’ai fait un bond de 5 mètres en arrière avant de m’empresser de glisser le vinyle dans la pochette intérieure faisant office d’enclos par mesure de sécurité, me promettant de le manipuler avec précaution la prochaine fois que je me sentirais suffisamment hardi pour l’affronter de nouveau.

Comme un étalon sauvage, je l’ai dompté à la schlague. S’il m’effrayait en premières instances, tout doucement, je parvenais à percer sa cuirasse, j’arrivais à l’apprivoiser. J’ai finalement admis que les sept titres de l’album seraient les sept murs porteurs de ma collection de disques. Quarante ans plus tard, je m’aperçois que chaque vinyle amoureusement entreposé sur les rayons de mon salon a un lien direct ou indirect avec Funhouse. Si cet album m’impressionnait et m’impressionne toujours, c’était pour le venin qui coulait dans son sillon, mais également pour cette splendide pochette comme on en concoctait dans les années 60 et 70, avant que les maisons de disques ne prennent en considération les coûts de production, des frais de studio à la conception graphique du disque.

Les couleurs prédominantes de Funhouse sont le noir, le rouge et l’orange, les couleurs du feu. Une mise en garde pour prévenir que si tu dégoupilles le disque sans prendre gare, tu vas te brûler l’échine au 3ème degré. Ça n’a pas loupé, j’en porte toujours les stigmates.

La pochette est double, une “gatefold sleeve”. Quand on l’ouvre et qu’on la regarde à la verticale comme une affiche pantalon de 31,5 centimètres par 63, on voit le portrait des quatre membres du groupe avec, en 1ère de couverture, la photo d’Iggy Pop en gros plan et, en surimpression, de nouveau Iggy en pleine contorsion. En retournant la pochette toujours ouverte, les 2ème et 3ème de couverture montrent les Stooges allongés sur le tapis en studio, le photographe ayant probablement profité d’une accalmie en pleine tempête, d’un relâchement en pleine pause. Ils n’ont pas des gueules antipathiques, mais ils ne sourient pas. S’ils vendaient du fil à couper le beurre, on n’aurait même pas envie de leur réclamer une ristourne pour une bobine de dix mètres. Quand on voit la basse de Dave Alexander allongée à ses côtés, une Mosrite bleue au vernis écaillé, on se dit qu’on a bien affaire à des cols bleus, à des gars qui sculptent le matériau sonique au burin et au bâton de dynamite, pas à des cols blancs passés là s’encanailler.

Funhouse est un des plus grands disques de l’histoire de la musique pour mille et une raisons, certes pas toutes avouables, mais toutes bien fondées. Sans lui, le rock ne serait plus depuis la fin des années 70. Ce n’est pas le lieu pour réécrire l’histoire, mais c’est bien l’endroit pour clamer que sans lui, vous comme moi ne serions pas là. On serait probablement sur le Larzac à affiner des fromages de chèvre avec ateliers poterie et macramé les week-ends. S’il y avait une pompe à freaks en guise de parc à thème dans le patelin, sûr que Funhouse serait l’attraction la plus prisée.

 

Patrick Foulhoux est chroniqueur rock et auteur de plusieurs livres dont les Thugs – radical history, et Hache tendre & Gueules de Bois.

 

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