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Radiohead

OK Computer

par Mathilde Pucheu

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Jusque-là je n’écoutais Radiohead que d’une oreille distraite. Je ne pourrais dire si j’aimais, mais de là à dire que je n’aimais pas… ça glissait, disons. 

Comment la musique de Radiohead est-elle devenue un lent poison ? Très vite, en fait. Je l’ai rencontré. Il aimait Radiohead. Puis il s’est mis à m’aimer. J’ai cédé à l’amour, à Radiohead, à tout. J’ai compris qu’il n’aimait pas Radiohead, mais qu’il adorait. J’ai compris qu’on ne pouvait pas transiger avec Radiohead.

Mais pas tout de suite. Je n’ai pas compris immédiatement que Radiohead s’était glissé entre nous depuis le début ; qu’il était entré en nous, en moi, depuis le commencement.

J’aurais dû m’en douter la première fois chez lui. L’album était là, sous mon nez, toute la soirée, comme s’il me narguait, comme s’il me prédisait la suite. Mais je n’y ai même pas jeté un œil. C’est là qu’on dit que l’amour rend aveugle, non ? Moi je dirais, c’est là que l’intuition et la raison mènent un combat sous-terrain. Parce que si je ne l’ai pas vue cette pochette avec ces deux chemins qui se séparent, ces effets de flou, ce collage, ces superpositions, cette croix et ce mouvement pris au piège dans un cadre blanc : OK COMPUTER… Tout ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Parce que ça s’est imprimé en moi, un tatouage prophétique en somme. Quel mauvais tour ! Parce que cette première fois a été scellée au son de Radiohead.

Ça a été le début d’un ménage à trois : Lui, moi et Thom Yorke dans le même lit. Au réveil, ça fait un choc la première fois. Et puis, quand on emménage ensemble, on fait de la place à l’autre, on se recroqueville, on se plie en quatre. On se dit que c’est pas si mal, que ça réchauffe, cette nouvelle configuration dans le lit. On prend nos habitudes. On ne se dit même pas que l’autre prend de la place. De plus en plus de place. On n’entend plus la musique, on n’entend plus les ruminations de Thom Yorke ni les siennes à lui. On se surprend même à ruminer avec eux. Un refrain sous la douche, et puis on bat la mesure, les pieds collés l’un à l’autre dans le métro. On se met à dire qu’on aime Radiohead.

Pendant ce temps-là, ce temps où on a baissé la garde pour pas dire qu’on a abdiqué, pendant tout ce temps-là, en fait, le poison se propage. C’est une action lente mais durable. La dose excessive d’OK COMPUTER agit sur les réflexes physiques, la mobilité des membres et de l’esprit. Ça coupe le désir et ça tue à petit feu.

À un moment donné, c’est l’overdose. Quand on ne trouve plus sa place dans le lit entre Thom Yorke et lui, on n’a plus le choix. On quitte tout : Lui, OK COMPUTER, le lit. Seulement voilà, l’insidieux poison est toujours là sous la douche, le refrain toujours là dans le métro, à battre la mesure. La désintox donne le vertige. Il faut tout balancer par la fenêtre et surtout le souvenir d’OK COMPUTER.

Mathilde Pucheu est Libératrice d’expression et co-créatrice de l’atelier d’écriture Rémanences des mots.

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