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Bojan Zulfikarpašić

Solobsession

Hélène Lemounaud

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Fin février 2004 

La neige a envahi le jardin et les champs voisins, elle a recouvert les résineux qui s’accrochent au relief montagneux du Grand Bargy qui nous surplombe. Tout est incroyablement blanc autour du petit chalet de bois. Quand la neige fraîche est là, il y a cet indescriptible silence. Je n’en reviens toujours pas de vivre en montagne, à plus de 1000 mètres d’altitude. La nature somnole, sommeille, un peu comme moi à cette heure.  

 C’est le matin, il y a l’odeur du café chaud, du bois qui se consume dans le poêle en fonte, il y a la lumière timide des premières heures du jour et les notes de Bojan Zulfikarpašić au piano. Le chat ronronne doucement, pelotonné sur le lit. Je n’ai pas repris le travail depuis notre arrivée en Haute-Savoie, j’ai cherché un poste en librairie au début, mais rien, et puis maintenant le temps est un peu suspendu jusqu’à la rencontre prochaine, annoncée début mars. Quand Erwan part au lycée, dans la vallée où il a été nommé depuis la rentrée de septembre, je me promène dans la forêt, je lis, j’écoute la radio et pas mal de musique aussi. C’est une période où s’entremêlent des sentiments contraires, des moments de joyeuse sérénité ou de profonde solitude. Les amis sont loin, nous connaissons encore peu de monde au village. La musique accompagne mes journées. Solobsession entre dans ma vie à ce moment-là. 

 C’est un froid matin d’hiver dans la montagne, dehors les stalactites de glace pendent des gouttières, dedans la lampe du salon offre une atmosphère orangée réconfortante. J’extrais de son boîtier gris cartonné l’album sorti chez Label Bleu. J’observe les trois formes rondes, blanc, noir et rouge, comme dessinées à la pointe du couteau sur un mur blanc décrépi. En bas à gauche, écrit en petit mais en lettres majuscules SOLOBSESSION BOJAN ZULFIKARPASIC. J’augmente un peu le volume de la chaîne hifi, je ferme les yeux.  

 Je repense à ma visite en ville, hier, chez la sage-femme. Elle est douce, posée et je me sens bien à ses côtés. A la fin du rendez-vous, elle m’a suggéré de glisser quelques CD dans ma valise, et m’a précisé qu’il y avait tout ce qu’il fallait à la maternité pour les écouter. Alors dans les heures qui suivent, je cherche dans notre discothèque la musique qui m’accompagnera ce jour ou cette nuit-là.  

1er mars 2004, la rencontre semble imminente, je boucle ma valise, embarquant les quelques précieux CD choisis. Nous saluons le chat, fermons le petit chalet sous le ciel étoilé pour emprunter la route sinueuse qui permet de rejoindre la vallée, puis 40 minutes plus tard la maternité de Sallanches, au pied du Mont Blanc. La nuit va être longue, mais nous sommes prêts. Nous avons 25 ans et sommes dans l’éblouissement et dans l’ivresse de ce qui va advenir.  

 À travers le silence particulier des nuits hospitalières, le piano de Bojan Z résonne. J’entends arriver les premiers accords de “Don’t Buy Ivory, Anymore” une reprise de Henri Texier. J’écoute chaque note, une par une. 

Comment vous décrire l’émotion ressentie quand à ce morceau de musique vient se mêler le premier cri de l’enfant ? 

 Brest, 21 juin – 18 septembre 2024 

Hélène Lemounaud travaille dans le domaine culturel. Elle vit à Brest depuis une douzaine d’années. 

 

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