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John Coltrane

A Love Supreme

Gilles de Kerdrel

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C’est ton père qui m’a fait découvrir A Love Supreme. Il nous avait invité à dîner, pour rencontrer enfin « celui qui m’a enlevé ma fille… ».

A lui qui collectionnait le Jazz, tu avais fait mon portrait en faisant de moi un féru de musique, hyper mélomane incroyablement ouvert à toutes les musiques du monde. On ne pouvait que s’entendre.

Pour moi qui n’écoutais que du rock et qui était hermétique à tout le reste, ça sentait le piège à plein nez. …Ben ça n’a pas raté.

Tu sonnes à la porte, ton père vient ouvrir, suivit d’une cascade de notes jouées à la trompette. Puis, sans même attendre les présentations, il balance un « Au fait, puisque vous qui êtes si mélomane » (clins d’œil dans ta direction), « je ne vous fais pas l’affront de vous présenter Miles Davis…». 

Après nous avoir servi un verre, ton père part en cuisine et me demande de choisir un disque. N’importe lequel. Mon préféré. Tu parles, que du jazz, de haut en bas et de droite à gauche sur tous les rayonnages…

Mais ouf, miracle ! Je tombe sur la pochette de A Love Supreme : Portrait de John Coltrane en noir et blanc, de profil en biais vers le bas, regard qui remonte et porte au loin. Je ne connaissais de Coltrane que cette photo, présente sur la pochette de «Looking at You », un single du MC5. 

En revenant au salon, Jacques (« Au fait, appelez-moi Jacques »), me félicite pour mon choix, et pose le disque sur la platine. Commence alors un interminable supplice. Jacques se met à décortiquer note pour note chaque titre de l’album, qui ce soir-là m’est insupportablement inaudible. Seuls les 3 mots « A Love Supreme » psalmodiés 19 fois d’affilée à la fin de « Acknowlegment » (c’est pas moi qui le dit c’est Jacques), provoquent entre nous deux des sourires complices.

A la fin du diner, Jacques, surement un peu ivre, m’offre son exemplaire de A Love Supreme. M’enlaçant jusqu’à presque m’étouffer, il me fait jurer d’en prendre autant soin que de toi, puis il claque la porte, nous laissant seuls dans la lumière blafarde du couloir.

On n’a jamais réécouté ce disque (ensemble, en tout cas), mais le « A Love Supreme » répété par Coltrane de sa voix si profonde est vite devenu le motto de notre langage amoureux : Au lit, on se le susurrait à l’oreille. Au cinéma aussi, quand à la fin on avait aimé le film. Devant un morceau de fromage, sous la pluie, ou allongés sur le sable, il revenait. Le jour où l’on s’est quitté, j’ai même cru le lire sur tes lèvres.

Gilles de Kerdrel est concepteur-rédacteur et l’auteur d’Ecoutons Nos Pochettes.

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